Première chasse

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L'éveil fut plus effroyable encore, si cela était possible. Imaginez l'obscurité, imaginez la terreur sourde, imaginez le poids de la terre, l'odeur de son humidité, la sensation d'étouffer, l'absolue et terrifiante sensation de silence écrasant, imaginez vous seul, et le monde entier, étourdissant, bruyant, coloré au-dessus de vous. Il ne pouvait ressentir autre chose que la terre lourde et froide autour de lui et cependant, il entendait chaque cœur battant, chaque humain respirant, il pouvant ressentir leur vitalité. Le plus effrayant était l'absence même de cœur dans sa propre poitrine. S'il était encore là, il ne l'entendait plus, alors qu'au-dessus de lui, le monde était assourdissant de volume.

L'humanité s'agitait dans les rues humides, riait, baisait, fumait, s'entretuait alors qu'il gisait là, immobile, impassible, se demandant s'il appartenait au monde des morts ou à celui des vivants. Entre nous, il n'en avait aucune idée. Il avait l'impression d'avoir été jeté encore vivant dans un charnier mais en y réfléchissant bien, il n'y avait guère plus de vie en lui que dans le cadavre encore frais d'un animal à la chair broyée par les roues d'une charrette. Il avait vu une quantité de cadavre, à une époque où l'on se donnait guère la peine de les enterrer rapidement à moins qu'une épidémie ne les y contraigne. Et il en avait à présent l'absolue certitude, il était mort. Alors s'il l'était, pourquoi ressentait-il encore ? Pourquoi pouvait-il encore formuler une pensée ?

Ressens-tu vraiment ? Tu crois sentir la fraicheur de la terre, tu crois entendre ces cœurs battants, ces gens heureux au-dessus de toi, tu te crois enterré vivant, mais n'est-ce pas juste les dernières pensées d'un esprit éthéré ? Il n'y a rien de plus mort et défraichi que toi. Admet le, tu es mort. Crevé. Décédé. C'est tout juste si quelqu'un se souviendra de toi, si quelqu'un fleurira ta tombe. Certainement pas ta pauvre mère qui ignore où tu te trouves, encore moins ton frère.

Lorenzo. Il l'avait abandonné. Comme sa famille, comme ses amis, il s'était perdu dans cette ruelle obscure, perdue dans cette cité sombre, il s'était damné tout seul. Personne ne cherche le diable à moins de vouloir voir les enfers. C'était un vieil homme d'église qui le lui avait dit un jour. Le gamin qu'il était, ce petit vaurien, ce démon, avait tapé dans l'œil du prêtre qui avait tenté de le sauver. S'il le voyait maintenant. Mort, enterré, tentant vainement de comprendre comment il en est arrivé là.

Et la soif lui souleva les entrailles. Une soif sans pareille. Une faim qui vous remue les trippes et les boyaux. Un truc pas normal qui remue tout votre intérieur et en fait de la chair à pâté. Alessandro ignorait ce qu'il ressentait mais le besoin impérieux le saisit, le poussa hors du sol, à s'arracher à la terre, à ramper hors de là, sans songer à autre chose qu'à tous ces cœurs qu'il entendait, et à cette odeur, de sang frais, qu'il reniflait à travers ces kilos de terre. Il aurait été bien incapable d'expliquer un tel miracle, si s'en était un. Tout ce qu'il savait c'était que son salut était là, sous son nez ou plutôt au dessus de lui. Et comme un animal, il rampa hors du sol, s'arracha à la terre comme un zombie et se rua sur le fossoyeur dont il arracha la gorge. Avant même de comprendre ce qu'il faisait il était penché sur le corps gisant à sucer le sang d'un cadavre tout frais.

Le jeune vampire qu'il était devenu était incapable de savoir ce qu'il faisait, ni pourquoi il le faisait. Il ne savait alors comment tuer, doucement, comment se nourrir sans aussitôt tuer sa victime. Le sang des morts n'est pas une sinécure pour un vampire, il lui faut du sang chaud, palpitant, d'un vivant. Rapidement, il s'arracha à ce corps refroidissant déjà, et couru, tel un bossu, tel un animal, sans aucune dignité ni aucune grâce, se ruant dans les rues, courant comme un dératé jusqu'à sa prochaine proie qu'il vida aussitôt. Ainsi, de cadavre en cadavre qu'il semait derrière lui, peu à peu, il reprenait des forces, et de la grâce, peu à peu, il recouvrait son humanité ou du moins, gagnait à sa nouvelle nature. Il devenait un vampire. De l'animal vicieux sans foi ni loi, il devint un dandy, un esthète mais il lui faudrait pour cela, des siècles, afin d'apprendre à se nourrir, à chasser dans le monde des humains sans risquer de se faire prendre.

Chronique d'une vie de vampireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant