Chapitre 3 - Partie I

Depuis le début
                                    

Eddy ricane, je l'ignore totalement.

— Joanna fête son anniversaire demain soir, ça te dirait de venir ?

Je n'ai jamais été une très grande fêtarde. Malgré mes efforts, la compagnie des autres m'ennuie assez vite et mon traitement ne fait rien pour arranger les choses. Tous ces cachets me provoquent des sautes d'humeur souvent spectaculaires. Alors évidemment, il est plus compliqué d'avoir une vie sociale normale lorsque l'on passe du rire aux larmes, ou de la joie à la colère en moins de trente secondes. Le tout sans vraiment crier gare.

— Ah... C'est gentil de m'inviter, mais je ne suis pas sûre que ce soit une très bonne idée. Et puis, je ne vais pas m'incruster à ton anniversaire alors que tu me connais à peine.

Joanna arque un sourcil et me dévisage, perplexe. Son chignon tiré, son corsage blanc et le foulard de soie autour de son cou composent le parfait tableau caricatural que je déteste tant. Son petit côté hautain, coincé et faussement innocent m'insupporte. Elle insiste, sur un ton mielleux et hypocrite :

— Tu es la bienvenue, Roxane ! Les amis de Jordan sont aussi mes amis, tu sais ?

— On en reparlera quand tu auras appris à me connaître.

Joanna reste interdite face à ma réaction. Eddy me scanne de nouveau de la tête aux pieds, un petit sourire en coin. Sentant le malaise s'installer peu à peu, Jordan s'éclaircit la voix et se rapproche de mon oreille.

— Viens ! Moi, ça me ferait plaisir que tu sois là. Je pense qu'on pourrait passer une bonne soirée.

Jordan m'adresse un sourire encourageant. Je n'ai aucune envie de me rendre à cette fête, mais les mots prononcés par mon père ce matin me reviennent subitement en mémoire. Il faut que je me fasse des amis, c'est pour mon bien. Je tourne furtivement la tête et croise le regard du garçon au manteau noir, toujours appuyé contre le mur. Je me détourne lorsqu'il affiche un petit sourire en coin avant de baisser le menton, une mèche de ses cheveux ondulés tombant alors sur son visage.

— D'accord. Je viendrais.

Jordan se redresse, un large sourire illumine maintenant son regard et je m'efforce de le lui rendre.

— Super ! Je passerai te prendre demain à 19 heures, c'est bon pour toi ?

— Ça marche. J'ai ton numéro ? Je t'enverrai l'adresse.

La joie qui se traduit sur son visage m'amuse beaucoup. Je n'ai pas l'habitude qu'un garçon soit si content de pouvoir passer du temps avec moi. Ils sont plus accoutumés à me fuir comme la peste, soit à cause de mon père, soit à cause de mon caractère insupportable. C'est alors que le téléphone de Jordan se met à vibrer dans sa poche. Il attrape le petit objet et se frappe le front lorsqu'il en consulte l'écran.

— Oh non, j'avais oublié... Je vais devoir y aller. Excusez-moi tout le monde. À demain, Roxane !

Il m'adresse un clin d'œil avant de saluer ses autres amis, puis s'écarte de nous pour héler un taxi. Joanna me fixe en plissant les yeux et s'éloigne dans la direction opposée, en compagnie d'Eddy. Sans me dire au revoir. Je hoche la tête ; je ne suis vraiment pas sûre que cette soirée soit une bonne idée. J'extirpe mon portable de mon sac à main pour consulter mes appels en absence. Le voiturier de mon père m'a laissé un message, il m'attend un peu plus bas sur Broadway. Je jette un dernier regard vers le mur, mais le jeune homme au manteau noir s'est évaporé. Je soupire puis me résigne à rejoindre mon chauffeur pour rentrer chez moi.


*


Shane


Je n'ai jamais aimé les universités. En particulier, celle-ci.

Columbia, ou le repère des gosses de riches par excellence. Je m'appuie contre le mur en brique et croise les bras sur ma poitrine en soupirant. Je parcours la foule des yeux. Tout ce monde-là ne fait que me rappeler à quel point mon existence n'a pas suivi le chemin que j'aurais voulu qu'elle prenne. Ces étudiants vivent tous une vie à peu près normale, sans réels problèmes, sans risquer leur peau tous les jours, sans se soucier de ce que demain sera. Ils habitent dans des palaces et mangent tous les soirs à leur faim. Ils ont des familles, des parents qui les aiment. Tout ce que j'aurais voulu avoir et que je n'aurai jamais plus.

C'est la fin de la journée et les étudiants sortent un à un des grandes bâtisses puis forment de petits groupes de part et d'autre sur le parvis. Une bande de filles en jupes plissées passe devant moi en battant des cils. Je leur souris timidement avant de détourner rapidement les yeux. Les filles... Je n'ai jamais trop su comment m'y prendre avec elles. Sauf peut-être avec Zara. Mon esprit divague vers elle, ses boucles dorées, ses prunelles bleues... Je secoue la tête pour chasser ces douces pensées parasites et me reconcentre sur ma mission. Je mâche lentement mon chewing-gum en scrutant les environs, à la recherche d'une personne au comportement suspect. Quelqu'un susceptible d'avoir en sa possession un paquet contenant un revolver fumé qui n'aurait encore jamais servi, directement destiné à Robin, par exemple. Columbia est l'endroit idéal pour ce genre de deal, le FBI ne vient jamais y mettre son nez. La plupart des étudiants de cette université font partie de l'élite New Yorkaise et leurs parents sont les personnes les plus influentes de cette ville. Alors naturellement, aucun d'entre eux ne pourrait concevoir que leur réputation soit entachée par n'importe quel scandale de ce genre...

Alors que je dévisage chaque individu présent sur le parvis, je croise le regard d'une étudiante juste en face de moi. Elle est mince, vêtue d'un jean slim bleu rentré dans des petites bottines en cuir marron. Son trench Burberry lui marque la taille et ses longs cheveux bruns sont relevés en une jolie queue de cheval. Mais plus important encore, elle ne baisse pas les yeux. Son audace et son assurance me troublent. Je la détaille alors, tentant de déceler si elle a un quelconque rapport avec Kurt. Mais après quelques instants, je renonce. Si cela avait été le cas, elle se serait approchée. Je passe une main dans mes cheveux en soupirant. Quand je relève la tête, mon regard croise de nouveau le sien. J'étire mes lèvres pour afficher un petit sourire en coin, tandis qu'elle se retourne rapidement vers ses amis.

— Shane ?

Je me tourne brusquement vers mon interlocuteur : un garçon d'à-peu-près mon âge, vêtu d'un large sweat à capuche qui dissimule une partie de son visage, et d'une veste en cuir usée. Kurt. Je l'observe un instant avec méfiance, sans dire un mot. Il reprend :

— Ouais. C'est bien toi, Gueule d'Ange. Dommage... Je m'attendais à voir quelqu'un d'autre. Quelqu'un de plus... féminin.

J'esquive cette réflexion et lui réponds à demi-mot.

— J'ai pas vraiment de temps à perdre, Kurt. Tu as ce que le Rouge-Gorge t'a demandé ?

Il fait une moue déçue, mais face à mon ton froid et autoritaire, il se détache du mur et me fait un signe de la tête.

— Suis-moi.

Le Dernier Vol des Oiseaux de Sang | TERMINÉEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant