Sublime

09. Mag, Maggie, Magdalena

   Je reprends le chemin du lycée avec difficulté. Pendant les deux derniers jours qui ont précédé la rentrée, je n'ai pas pensé à elle une seule fois. Enfin, c'est ce que j'ai essayé de me faire croire à moi-même, j'ai essayé de m'en convaincre dur comme fer.
   D'un geste las, je pousse les portes du bâtiment et pénètre à l'intérieur. Au moins, je n'aurais plus à subir la vision horrible d'Antoine et elle se dévorant la bouche.
En tout cas, je le croyais...
J'arrive au bout du couloir et les vois, enlacés l'un contre l'autre, appuyés à un mur.
J'ai l'impression de tomber des nues, de m'être éveillée en plein cauchemar.
Je me stoppe net, ma tête fait un mouvement de recul, et je sens ma bouche former un large "o" de surprise malgré moi.
Magdalena me remarque, elle détourne le regard et baisse les yeux. Un petit sourire timide se forme sur ses lèvres. Antoine, lui, ignore carrément mon existence.
J'essaye de reprendre mes moyens tandis qu'un flot de pensées assaille mon esprit. J'en ai presque mal au crâne.
   Je rentre dans ma salle de cours, m'assois à la table la plus au fond, et je tente de réfléchir.
Qu'est-ce que j'ai loupé, au juste ? Je pensais qu'ils étaient séparés, mais je n'ai pas vu son blog depuis la dernière fois, depuis que j'ai appris qu'ils ont rompu, justement.
J'ai peut-être mal interprété, ça n'avait peut-être rien à voir avec leur relation, ces phrases, ou alors j'avais vu juste et ils se sont simplement réconciliés...
Qu'est-ce qu'Antoine a bien pu lui dire pour qu'elle retombe dans ses bras ? Quel prétexte a-t-il encore invoqué ?
Je sors mon téléphone de ma poche, je le déverrouille, et j'ouvre la galerie des enregistrements audio. Elle ne contient qu'un seul fichier, la fameuse conversation qui peut prouver qu'Antoine est un menteur, ou qu'en tout cas, qu'il a menti sur un sujet précis et important.
Je clique sur "transférer par MMS", ma messagerie s'ouvre alors, et j'entre le nom de Magdalena dans les destinataires.
Mon pouce reste en suspens au-dessus du bouton "envoyer".
Non, c'est stupide, elle va savoir que ça vient de moi, je n'ai rien à y gagner, vraiment rien. Et puis, pourquoi je fais ça ? Après tout, je m'en fiche qu'elle soit avec lui.

   Les semaines sont passées, et nous voilà désormais à la très attendue soirée du Vendredi 10 Mars, la soirée des métiers.
J'ai l'impression que c'est un gala, tout le monde est bien apprêté, et il y a même un buffet avec des petits fours et des coupes de champagne. Le lycée est rempli d'élèves et certains parents, dont les miens, ont également fait le déplacement. Élodie est venue aussi, même si je lui ai expliqué que ce n'était pas nécessaire. Elle m'a contredit en m'expliquant que comme elle était en pleine création de sa propre entreprise, cela pouvait intéresser des lycéens. Je n'ai pas voulu insister, et le bâtiment est grand, je pourrais facilement éviter ma famille si j'estime qu'elle devient un peu trop gênante.
   Au cours des derniers jours, j'ai essayé d'ignorer Antoine et Magdalena, de me faire à l'idée qu'ils s'étaient bel et bien définitivement remis ensemble, même si ça me fait mal de l'admettre.
Je ne sais même plus pourquoi, exactement.
   Notre efficacité et son idée nous ont permises de remporter la première place parmi tous les projets proposés. J'en suis très fière, mais je dois bien avouer que je n'y serais jamais arrivé, sans elle.
Aux deux entrées du bâtiment, des écrans diffusent ma bande-annonce. Des cartes de "parcours au trésor", inventées par Mag, sont distribuées aux visiteurs. Tout le monde m'a félicitée : mes parents, ma sœur, mes profs, quelques élèves, et même Magdalena. Elle m'a envoyé un SMS, le jour où on nous l'a annoncé. Il disait simplement « félicitations. » J'ai répondu un "merci" froid, mais j'aurais très bien pu me contenter de ne rien répondre du tout.
   Maintenant, je la cherche. J'ai besoin d'elle pour superviser l'accompagnement et l'organisation de la soirée, et pour présenter notre projet dans les détails.
Je balaye la foule des yeux, je me hisse sur la pointe des pieds pour mieux la repérer. Élodie me demande ce que je fais, mais je n'entends qu'une voix lointaine dans tout ce brouhaha.
Et puis, je la vois. Elle apparaît au milieu de la foule, et j'ai l'impression qu'il n'y a plus qu'elle.
Elle rayonne, elle est si belle...
Qu'est-ce que je raconte ?
Elle porte une élégante robe bleu clair, moulante, et ses cheveux sont attachés dans chignon flou. Quelques mèches s'en échappent. Elle sourit.
Mon cœur s'accélère, puis soudain, il se bloque. Ma poitrine me fait mal, elle me brûle.
Antoine est arrivé derrière elle, il enlace ses bras autour de sa taille, et dépose un baiser dans son cou.
J'ai mal, j'essaye de regarder ailleurs, mais j'ai l'impression que mes yeux sont vissés sur ce spectacle. Mag me remarque, elle m'envoie un sourire gêné et baisse le regard. De mon côté, je détourne la tête et tente de donner l'impression que je n'ai rien remarqué, mais personne n'est dupe. Ma sœur elle-même plisse le front et me regarde d'un air inquiet.
—     Al ?, demande-t-elle.
Je ne réponds pas. Elle repère la présence de ma coéquipière de travail, et, après qu'un petit sourire en coin a déformé ses lèvres, elle lance :
—     Alors c'est elle, la fameuse Magdalena...
Je me tourne vers mon aînée. Pourquoi avoir pris ce ton plein de sous-entendus ?
Avant que je ne puisse lui demander quoi que ce soit, je vois Mag qui se détache de l'emprise d'Antoine, on dirait même qu'elle le réprimande. Puis, elle se met à marcher dans ma direction, et au fur et à mesure qu'elle se rapproche de moi, je sens mon rythme cardiaque s'accélérer.
Quand elle arrive enfin à ma hauteur, je ne sais ni quoi dire, ni quoi faire. C'est elle qui brise le silence. Elle demande :
— Tu es prête ?
Je suis incapable d'articuler un mot. Je déglutis ma salive et hoche la tête avec un "hum" approbatif, et, après que j'ai prévenu ma famille, nous partons.