Il est bientôt dix heures, le jour est levé depuis un petit moment déjà, et tout le monde fixe la fenêtre d'un air impatient et mélancolique.
Il s'est mis à neiger de plus en plus fort au cours de la matinée, la professeure de littérature peine à finir son cours tant les élèves et moi-même avons envie d'aller dehors pour nous rouler dans la poudreuse ou danser sous les épais flocons. La neige fait retomber tout le monde en enfance.
La cloche sonne, la prof soupire pendant que nous nous levons tous d'un seul bond pour rejoindre la cour de récréation.
Les élèves de toutes classes confondues sont dehors, à s'amuser comme des petits fous.
Certains tentent de construire un bonhomme de neige, d'autres se sont allongés au sol pour former des anges.
Tout ce petit monde à une moyenne d'âge allant de quatorze à dix-neuf ans. Je souris, amusée par l'effet que provoque cette météo sur nous tous.
Un élève de Terminale lance alors les hostilités : une bataille de boules de neige.
Tout le monde s'y met, et je me baisse pour tenter d'éviter les projectiles qui fusent de partout et former moi-même une sphère glacée dans mes mains.
Je ne porte pas de gants, le froid me brule le bout des doigts. J'envoie ma boule au hasard, et c'est alors que je la repère.
Magdalena est là, dans mon champ de vision, un peu en retrait. Antoine n'est pas avec elle, elle est en compagnie de ses amies qui se protègent le visage avec leurs bras et rigolent, amusées.
Je me baisse à nouveau et forme une autre boule de neige. J'essaye de la rendre bien solide pour qu'elle ne se désintègre pas en vol, et je profite de la cohue générale pour l'envoyer en plein dans la figure de Magdalena.
Touchée !
Mon projectile est arrivé en plein sur sa joue, lui écrasant au passage la bouche et une partie de son nez. J'explose de rire devant son expression faciale à la fois surprise et outrée.
Et puis, je croise son regard.
Mon sourire s'efface, tandis que ses lèvres à elle s'étirent, de plus en plus.
Mon cœur manque un battement, j'ai un mouvement de recul. Pourquoi me fixe-t-elle, et pourquoi sourit-elle ? A-t-elle deviné que c'est moi qui lui ai envoyé cette boule de neige ? Elle n'a pas l'air blessée, dommage, j'aurais bien aimé lui casser une dent ou deux.
Ses yeux sont rieurs, son sourire ne faiblit pas.
C'est étrange, en regardant attentivement, je trouve qu'elle a un beau...
Qu'est-ce que je raconte ? Son sourire est hideux. Avec ses fossettes qui creusent ses joues rebondies, et son rouge à lèvres rouge vif ruiné par la neige...
Oui. Vraiment hideuse.

   Il est seize heures, j'attends impatiemment que le cours d'histoire se termine. Je ne dirais pas qu'il est inintéressant, mais je m'ennuie. Je fais des petits dessins dans la marge de mon cahier tout en notant de temps en temps quelques phrases et quelques dates importantes. Je suis fatiguée.
En début d'heure, le prof nous a rendu les copies du contrôle que nous avions fait avant les vacances. J'ai eu un six sur vingt.
Ce n'est effectivement pas très glorieux, mais tout à fait normal lorsque l'on rend une copie presque blanche. Le jour de l'interro, j'avais l'esprit embrumé par l'image d'Antoine et d'elle, de l'autre, de celle qui a pris ma place. Je ne pouvais plus penser à rien d'autre, et j'avais retenu des larmes de rage et de tristesse pendant une bonne heure.
   La cloche retentit, j'en suis presque surprise. Je rassemble mes affaires dans mon sac et attrape mon cahier sous mon bras.
Avant que je ne puisse me diriger vers la porte de sortie, comme le fait le reste de mes camarades, le prof m'interpelle.
—      Mademoiselle Corbier ?, appelle-t-il.
Je me retourne dans sa direction, lentement, et je constate qu'il me fait signe de venir le voir. Je m'approche de son bureau, et lui demande ce qu'il se passe. Il croise ses mains entre elles, puis me fixe d'un air soucieux derrière ses lunettes rectangulaires.
—      Votre dernière interrogation s'est très mal déroulée., commence-t-il. Que s'est-il passé ? Vos résultats sont inquiétants depuis quelque temps, Mademoiselle, nous l'avons constaté avec nombre de vos autres professeurs. Il faut vous ressaisir, n'oubliez pas votre objectif principal : l'obtention du bac à lauréat à la fin de l'année.
Je baisse le regard sur le sol.
—      Je... Désolé., je bafouille. J'avais des soucis... D'ordre personnel.
Je ne souhaite pas rentrer dans les détails. Le professeur me gratifie d'un faible sourire et poursuit :
—      Ne vous laissez pas abattre, Aline. Vous êtes plus forte que cela, voyons.
Son ton est encourageant, il est convaincu de ce qu'il dit, et moi, j'ai du mal à y croire. J'ai l'impression que mon corps et ma tête ne veulent pas faire d'efforts, que c'est trop fatiguant, que je suis épuisée de vivre.
Il me libère et me souhaite de passer une bonne fin de journée. Je lui rends la politesse et m'éloigne pour enfin sortir de la salle.
Je suis à la fois triste et en colère contre moi même. Je sens mes yeux se brouiller de larmes alors que je clenche la porte, franchis le seuil et la referme derrière moi sans même me retourner.
Dans le couloir, je renifle, je garde les yeux fixés sur le sol pour éviter de croiser le regard de qui que ce soit.
C'est alors que quelqu'un se heurte violemment à moi. Mon épaule droite me lance douloureusement, et mon cahier s'écrase au sol.
—     Mais regarde où tu marches, putain !, je crache à l'attention de l'abruti qui m'a bousculée.
Je me penche pour ramasser mon cahier, j'aperçois l'abruti en question : ce n'est autre que Magdalena.
Mes dents se serrent sous l'effet de la rage, je tente de ne pas la laisser exploser.
Mag ne fait pas attention à moi, elle continue son chemin, du moins je le crois. Je me relève alors et me retourne. Magdalena est immobile, au milieu du couloir, le corps à moitié tourné dans ma direction.
J'ai l'impression qu'elle a l'air triste.
J'essaye de ne pas y prêter attention, et poursuis mon chemin comme si de rien était. Et puis, je ne peux pas m'en empêcher : je me retourne également, je veux voir ce qu'elle fait.
Elle s'est remise elle aussi à marcher, et ne se rend compte de rien.
C'est alors que je constate, en l'observant attentivement de haut en bas, qu'elle porte une paire de Creepers, presque identique aux miennes.
Je soupire intérieurement et mon cœur se bloque dans ma poitrine, j'en oublie même de respirer. C'est incroyable. D'abord cette fille me pique mon mec, et ensuite elle s'attribue mon style vestimentaire ?!
Alors ma conscience me chuchote à l'esprit : « enfin Aline, tu sais bien que c'est faux, tu sais que cette fille à toujours eu un style similaire au tien, et tu sais aussi que vous avez les mêmes goûts. Il n'y a qu'à voir vos choix en matière de garçons, par exemple. Dans le fond, si vous vous étiez rencontrées dans d'autres circonstances, vous auriez peut-être même pu devenir amies, elle et toi. » Je souris face à l'ironie de cette pensée. Mais c'est que ma conscience a de l'humour...
Je pousse les battants des portes du lycée et me retrouve dehors, dans le froid, sous la fine pellicule de neige qui continue de tomber. De la buée se forme autour de ma bouche quand je soupire. Je crois que je viens de prendre conscience de quelque chose, et c'est si horrible que j'ai même du mal à y penser.

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