Chapitre 4

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Camille

L'air est froid. Très froid. Un frisson parcourt mon corps tout entier. Du bout de mon nez jusqu'à mes orteils. Je suis allongée. Mes yeux sont clos, je ne sens que quelque chose d'humide en dessous de moi. Ma cuisse me rappelle la sensation de douleur, mais ce n'est pas aussi désagréable que le froid qui me glace depuis un long moment déjà. Je dois me lever. Je n'y arrive pas. Il y a, en dessous de moi, comme un tapis rêche. Ca me gratte. Je ne parviens pas à me lever, je suis simplement clouée. En deux temps trois mouvements, mon corps réagit à la vague glacée qui s'abat sur moi. En prenant une grande inspiration, je me redresse et sursaute. Je regarde à gauche, à droite. Je n'ai aucune idée d'où je suis.

- Ca va ? chuchote une petite voix dans mon dos.

Mon corps bondit à nouveau. Une petite fille se tient juste là, avec un seau vide à la main. Je suis trempée. Et nue. Je mets mes mains par dessus ma poitrine, gênée, et grelotant. L'enfant lache son seau et s'en va en courant. Elle se dépêche de passer le sommet de la colline se tenant juste en face de moi, et disparait. Je me lève et saisis le seau en bois, vide. Il faut un certain temps à mes jambes pour se dérouiller mais petit à petit, mon pas reprend une allure correcte. Mais le trou logé dans ma cuisse lance à nouveau. Arrivée au point le plus haut de la colline, mes yeux s'écartent légèrement lorsque j'aperçois une maisonnette, que je reconnais très bien. La fillette arrive avec une cape dans les bras, toujours en courant. Le drap couvre très vite mon frêle corps d'adolescente, ce qui est mon dernier ressenti avant le trou noir, à nouveau.

*

Oriane

- C'est lui ? lance ma soeur avec un sourire trop large pour son fin visage et des yeux pétillants d'enfant.

- Oui, c'est lui, répond mon père avec sa voix reposante.

Je me mets sur la pointe des pieds pour tenter de découvrir le visage du fameux élu, mais tout ce que je parviens à voir sont les vielles fesses de la Dame Noire, sorcière. J'entends clairement le bruit des fers tapant les pavés de l'allée principale sous le poids des cheveux. Assez rapidement le calme remplit la cour, pour être brisé par une voix aigue, celle d'un homme pourtant.

- Mon cher ami ! Je suis heureux de te voir ! crie l'homme.

Il est très grand et sa moustache descend quelques centimètres sous son menton. Son ventre est tellement gonflé que je serais étonnée d'apprendre qu'il sait voir ses pieds. Derrière lui se tient une grande dame, magnifique. Son sourire souligne des traits parfaits dessinant son visage si féminin. n'importe qui tomberait sous le charme.

- Bienvenue à vous, lance mon père en serrant la main de ses invités les uns après les autres.

Toute la famille est au rendez-vous. Trois garçons sortent d'une charrette décorée de nombreux rubans, dessins, lanternes. Je crois même que des diamants sont ajoutés au loquet permettant d'ouvrir la porte.

- Et, ce sont tes filles ? demande l'étranger en nous scrutant de la tête aux pieds ma soeur et moi.

- Votre majesté, dit ma soeur en prenant sa robe dans ses mains pour la décoller du sol et plier les genoux. Comme une grande Dame elle n'oublie pas d'incliner légèrement la tête, en maintenant son dos bien droit.

- Ann, si ce qu'on m'a dit est correcte, vous êtes d'une grande beauté. je ne pense donc pas me tromper, s'exclame-t-il ensuite.

Il n'attend même pas la réponse de ma soeur et se place devant moi, qui reste muette.

- Etqui est cette demoiselle pour laquelle aucune rumeur ne court ?

- Oriane, je réponds sèchement.

Je lève ensuite les yeux et croise le regard de mon père en colère.

- Votre majesté... je m'empresse d'ajouter en baissant la tête pour fixer ses chaussures. Je suis certaine qu'il n'a aucune idée de la paire que son esclave lui a mis.

- Enchanté, conclue-t-il.

Il détourne son regard pour s'en aller aux côtés de mon père, se dirigeant vers l'intérieur. Sa femme le suit sans rien dire, restant discrète et se contentant d'observer tout dans les moindres détails.

*

Mon oreille est collée contre la porte. J'écoute attentivement, avalant la moindre parole de l'un des hommes présent dans la petite chambre. Quand je pense qu'ils sont tous là, autour de la reine morte jusqu'à hier, et ressuscitée par une femme dont personne ne sait rien.

- Êtes-vous vraiment convaincu que cette, femme ou... prêtresse est une faiseuse de miracle ?

- Je vous le répète, elle a exécuté le sort devant moi. Et devant toute ma famille, à l'exception de ma plus jeune fille, Oriane.

J'entends ces mots qui me bloquent l'estomac. La colère remonte, je ne pourrai jamais croire à ces histoires.

- Où était-elle ?

- Je l'ai fait conduire dans sa chambre. Les émotions et le côté étrange des derniers événements l'ont troublés. Je pense qu'il lui faudra du temps pour accepter.

Je m'éloigne de la porte en bois massif sur la pointe des pieds pour ne pas faire de bruit. Ma chambre n'est qu'à quelques mètres, seulement. Le temps de me retourner et je sens un courant d'air dans tout le couloir. Je ne perçois plus les voix dans la salle d'à côté, seulement le grincement de la porte qui s'ouvre, me faisant savoir que les ennuis m'attendent.

- Oriane ? me lance la voix grave reconnaissable entre mille.

Je me retourne et ne dis rien, juste, je regarde le sol, traumatisée peut-être. Le gros seigneur se tient derrière le roi et me regarde étonné, attendant la réaction de mon père.

*

Camille

- Regarde, elle ouvre les yeux. Je te l'avais bien dit.

- Elle ne va pas survivre.

- Pas si tu ne l'aides pas.

- Écoute, je vais essayer.

- Où suis-je ? je les interromps, faisant raisonner ma voix faiblarde dans la petite pièce sombre que je découvre en regardant à gauche et à droite.

- Ne parlez pas. Vous devez vous reposer. Vous êtes très faible, mais on va vous soigner.

- Je veux rentrer chez moi.

Je crois que je les supplie.

- Dans cet état, vous n'irez nulle part... me lance la petite fille se tenant devant le grand lit qui supporte mon poids.

À côté d'elle, une petite dame aux cheveux noirs m'observe. Elle les a attaché avec un long ruban salle, on dirait qu'elle ne s'est pas lavé depuis des jours. Ses vêtements sont misérables. En observant les lieux, je me rends compte que tout est misérable, sombre, et fermé.

- S'il vous plaît, dites-moi où nous sommes. j'insiste en les regardant, les yeux plissés de douleur.

- On est dans le Vall. Dormez maintenant, clôture la petite dame, en s'éloignant.

Une part de moi est satisfaite d'avoir eu un nom, contente d'être tombée entre les mains de cette petite fille qui n'a pas l'air de me vouloir du mal, mais l'autre part est terrifiée. Je risque apparemment de ne pas survivre, mon dernier souvenir de cette fête est ma chute dans ces escaliers, ensuite plus rien. Et pour couronner le tout, je n'ai en réalité aucune idée de ce qu'est le Vall, je sais juste que quelque part, pas loin, il y a un petit homme, accompagné d'une grande dame effrayante et munie de flèches.

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