Chapitre 3

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Diana

Un bruit de branche arrachée retentit au moment où mes mouvements aléatoires se stoppent. Une silhouette se dessine petite à petit, pour tomber lourdement sur mon compagnon, l'écrasant contre la terre froide du petit matin.

- Mais qu'est-ce que c'est laid ! je m'écrie en m'agenouillant pour tenter d'écarter cette créature.

- Crois-moi, vu d'ici ça l'est encore plus. Enlève-moi cette chose et vite !

Je m'exécute. Je plaque mes deux mains sur le flanc droit du cadavre et pousse de toutes mes forces. Le corps glisse lentement pendant que Tom se dégage. Il se redresse et attrape ma hache encore plantée dans le cou de son agresseur.

- Tu te bats vraiment comme une fille, il lance avant de m'aider à mettre le monstre sur le dos.

- Fais attention à ce que tu dis, ami ! je riposte.

- Il est vraiment affreux ! Qu'est-ce que c'est ? me demande-t-il en observant tous les détails de la composition de cette bête.

- C'est un Fiork. On les appelle aussi les Créatures des bois. Ils considèrent la forêt comme leur propriété. Mieux vaut ne pas les provoquer. Ces bestioles sont très rancunières.

Le Fiork abattu est assez petit. Il est entièrement composé de bois. Sa peau n'est en fait qu'une fine écorce, décorée de mousse verte, virant vers le jaune quand la mort s'empare de lui. Cette créature de la forêt ne nait pas, ne vieillit pas et à la capacité de devenir invisible aux yeux des autres espèces. Elle n'est perceptible que lorsqu'elle meurt. Son visage est rempli de bosses. Il est parfois difficile de savoir si un visage est caché derrière ce relief abondant. trahie par sa forte odeur elle reste accessible aux vivants. Ses yeux sont d'un brun tellement foncé qu'on pourrait parler de noir. A sa mort, le Fiork se décompose, il n'en reste rapidement qu'une graine, s'enfonçant dans le sol, pour réapparaitre sous forme d'un petit arbre.

- On s'en va. Les autres vont pas tarder à rappliquer.

Tom se contente d'hocher la tête et de se relever pour engager la marche. Mes yeux ne peuvent s'empêcher de fixer son arrière train. J'écarquille les yeux, stupéfaite du tableau qui s'offre à moi.

- Tu sais que t'as de belles fesses ? je lance en riant bien fort.

- Pardon ? il s'arrête et se retourne, attendant une explication.

- Ton pantalon est complètement déchiré. Tu as dû tomber sur quelque chose de tranchant.

Je continue de me moquer en le suivant.

- C'est pas vrai ! tu étais obligé de te foutre de moi comme ça ?! Merde ! Qu'est-ce que je fais ?

- Tu continues de marcher et moi je continue de rire.

*

Oriane

- Allea jocantis flaia. Mecantos drola estive e sperdavos nunto ..

J'en suis sûre. C'est une traitresse. Un monstre. Un être descendu pour tous nous tromper. Je la regarde chanter ces mots insignifiant qu'elle invente à l'instant. Elle les a tous dupé. Cette prêtresse vêtue d'une simple robe dorée. Elle pose ses mains sur le corps de Lady Malt, ses ongles si longs effleurent les joues glacées de la femme décédée. Ses cheveux sont noirs et le léger mouvement ondulé qui les fait briller me donne la nausée. Elle continue de baratiner des mots qu'elle seule connait, en tripotant une morte.

- Ca suffit ! je crie en m'avançant devant les escaliers en haut desquels préside la longue table du Roi et de ses conseillers.

- Ecarte-toi !

La voix grave mais tremblante de mon père résonne dans toute la salle. Des chuchotements se font ensuite entendre. Je ne cède pas.

- Non. Elle est morte, Père. C'est terminé. Cette femme n'est pas ce qu'elle prétend être. Tout ceci n'est que mensonge.

Malgré mon intervention, la sorcière continue sa "formule", imperturbable.

- Très bien. Selon elle, cette bague est la source de son pouvoir. jelance assez fort pour que tout le monde ici présent m'entende et m'écoute. Je m'approche du corps et de la prêtresse, et tend la main vers elle.

- Si cela est vrai, elle devrait me convenir autant qu'à vous. Donnez la moi. j'exige.

- Oriane ! hurle le Roi, alors que je ne réagis pas.

- Si je vous la donne, j'annule tout le sortilège que je viens d'entamer.

- Faites dont. je continue, sûre de moi.

- Emmenez-la. exige mon père à son garde du corps.

L'homme s'approche de moi et s'empare de mon bras. Mes yeux restent plongés dans les siens. Ce ne sont que des billes noires, on n'en perçoit même pas la rétine.

- Jamais votre femme ne reviendra. Soyez-en sûr. je lance au souverain avant de me laisser tirer jusqu'à ma chambre.

Le garde bien bâti ne me lache qu'une fois dans ma chambre, et, juste avant de fermer la porte derrière lui, m'avoue.

- Je n'y crois pas non plus, Mademoiselle. Mais ne vous mettez pas en danger. Si ce qu'elle dit est faux, votre père le saura bien avant l'heure. Essayez de ne pas vous faire d'ennemis... C'est mieux pour votre sécurité.

- Elle est fausse. C'est le diable incarné.

L'homme ne répond pas et ferme simplement la porte, me laissant seule, dans cette pièce sinistre.

Environ une heure plus tard, quelqu'un toque à la porte. Je ne réponds pas. La porte en bois massif s'ouvre lentement, pourtant, laissant apparaitre le grand homme qu'est mon père.

- Nous ne sommes pas forcés d'en parler, je me contente de dire alors qu'il s'assied sur mon lit recouvert de plusieurs fourrures épaisses. Je m'approche muette.

- Si, nous le sommes, insiste-il.

- Très bien. Je ne suis aucunement désolée pour mon intervention. Je reste persuadée qu'elle n'est qu'usurpatrice. Croyez-moi, cela ne peut être que mauvais de s'associer à la sorcellerie, sous quelconque forme. Je vous en conjure, Père, arrêtez tout ceci tant que vous le pouvez.

- Oriane. Il arrive que les hommes aient des convictions. C'est même pratiquement le cas pour chacun d'entre nous, selon moi. Mais en ce jour, cette magicienne à fait battre le coeur de la Reine, à nouveau. Elle revit, ma chère.

- Mais.. c'est impossible..

- C'est de la magie, Oriane. chuchote-t-il avant de poser sa main sur ma fine épaule de jeune fille.

- Dès que la Reine aura repris des forces, je te permettrai de lui rendre visite. Tu pourra ensuite comprendre.

Il se lève et s'éloigne de moi, d'un pas décidé. Non, d'un pas de Roi. Sa tenue est majestueuse. Une tenue parfaite pour un enterrement, ou pour plutôt pour voir sa femme renaitre. Juste avant que la porte ne se referme, je prononce la phrase qui sèmera un silence de mort.

- Ce n'est pas une magicienne. C'est bel et bien une sorcière.

Le lourd et épais morceau de bois cogne contre la paroi séparant ma chambre du couloir principal, m'empêchant d'en dire plus. Je m'allonge sur mon grand lit, la tête reposée sur les épais coussins tous empilés. Je me laisse emporter dans mes pensées, mes yeux se ferment lentement, et mon esprit plonge dans un sommeil profond, par ce froid d'automne.

Sons of DreamsWhere stories live. Discover now