Une horloge en morceaux

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Thème : Énigme

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- Pourquoi ?

- Elle est mon énigme. En voilà une drôle de façon de commencer; mais je ne vois pas comment je pourrais exprimer autrement ce qu'elle représente pour moi.

Vous le savez tout aussi bien que moi, mon truc, c'est l'analyse. Des machines, des animaux, des textes, de tout. Mais surtout des gens. Ils sont... Tellement intéressants. Tous à vouloir être différents et pourtant si semblables, tous pareil. Sauf elle.

Les gens aiment s'imaginer imprévisibles, mais - ah ! -  quelle blague. Elle, elle l'est. Elle ne le réalise peut-être pas mais elle l'est. Impossible d'imaginer ce qu'elle va pouvoir dire ou faire la seconde suivante. J'adore ce jeu, mais elle est une adversaire redoutable et je perds à chaque fois.


- Pourquoi est-ce qu'elle-

- M'intéresse ? Elle ne m'intéresse pas. Elle m'obsède. J'y pense le jour, j'y pense la nuit... Ca me tue, mais en un sens ça me fait vivre aussi. Son rire, ses pleurs... Ils faisaient voler en éclat mon ennui.

- Elle vous manque ?

- Oui. Quand elle était là, mais pas près de moi, elle me manquait déjà.

- Parlez-moi de votre rencontre.

- Inintéressante. Futile. Je l'ai croisée dans le bus. Elle était... comme derrière une plaque de verre infiniment plus épaisse qu'une vitre. Inaccessible.

Vous par exemple, je vous regarde un instant et j'en sais déjà beaucoup sur vous. Simple observation, basique. Logique. Je fais ça avec tout le monde. C'est comme si quand je pose mon regard sur quelqu'un, sa personnalité s'écrit autour de lui. Egoïste, optimiste, stressé, vantard, vaniteux, altruiste...

Vous connaissez le Myers Briggs Type Indicator ? Evidemment que vous le connaissez. Vous savez donc que vous, vous êtes un rationnel. Ben ça aussi, ça s'écrit comme une aura flottant autour des têtes des gens que je croise. Et puis il y avait cette foutue vitre, double vitrage, pare balles, indestructible qui m'empêchait de la lire.

Et pourtant, en une seconde... Un vrai coup de foudre. Si j'avais compris une seule chose d'elle, c'est qu'elle allait occuper une place très importante dans ma vie. J'ai continué à prendre le bus, tous les jours à la même heure. Comme je le faisais déjà avant, mais je m'y appliquais beaucoup plus que d'habitude. Juste pour la voir.

Je l'ai vue seule, renfermée, timide. Je l'ai vue avec ses amis, libérée, joyeuse, presque extravertie. Je l'ai vue triste, heureuse, ennuyée, concentrée, apeurée, stressée. Aucun problème pour décrypter ses émotions, mon surplus d'empathie ne m'a pas fait défaut. Mais elle ? Son fonctionnement ?


- Continuez.

- Je vois l'être humain comme une machine. Une espèce de grande horloge qui a un mécanisme semblable aux autres horloges, mais pourtant unique. Plus ou moins complexe d'ailleurs, mais logique, bien huilé. Elle, elle est...

- Était.

- Était... cassée. Changeante. Elle n'était PAS. LOGIQUE.

...

Excusez-moi. Je ne la compren...nais pas, mais peut-être parce qu'il n'y avait rien à comprendre. C'était une femme brisée, une horloge détraquée.

En me rapprochant d'elle, en lui parlant... c'est là que j'ai compris qu'il n'y avait plus rien à faire pour la réparer. Elle souffrait trop. Pauvre mécanisme en fouillis... Bonne pour la casse alors que ses pièces détachées étaient si belles, si rayonnantes.

Il fallait bien que je l'aide. 


- Donc vous l'avez tuée.

- Je l'ai sauvée. J'en ai fait une oeuvre d'art.

- Pourquoi elle ?

- C'est mon énigme personnelle, insoluble. Pour toujours maintenant... J'ai essayé de l'assembler comme il le fallait, mais rien à faire.

- Pourquoi continuer à y penser alors ?

- J'essaye de la comprendre. Il faut bien que je m'occupe l'esprit, non ?

Recueil d'OSWhere stories live. Discover now