J'étouffe

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Thème : l'étouffement

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J'étouffe. Depuis que je te connais, j'étouffe.



La première fois qu'on s'est rencontrés je me suis littéralement étouffée, tu te souviens ? C'était à cette soirée à laquelle ma soeur m'avait trainée. Tu avais posé ta main sur mon épaule pour me parler, j'ai pris peur et j'ai avalé ce noyau d'olive. Ouais, j'ai eu assez peur ce soir là, j'ai vu ma vie défiler. Et puis on en a ri tous les deux, sur le canapé à ne plus penser aux autres. Juste nous deux. On en riait encore il n'y a pas si longtemps. De mon côté, ça continue à m'amuser. Ce que je peux être stupide parfois, avec mes réactions exagérées.

 Enfin, exagérées, pas tant que ça. Je n'avais pas encore vu ton visage mais de face tu m'aurais fait encore plus d'effet.

Quand j'ai vu ton grand sourire une fois ce maudit noyau recraché, j'ai encore étouffé. Différemment. C'était agréable. Mon coeur s'est serré, presque autant que mon estomac. T'étais là, c'était merveilleux. J'étais là, je ne voulais plus partir.

Quand tu m'as embrassée pour la première fois, j'avais la gorge tellement nouée que j'ai failli m'évanouir. Ca t'a fait rire, moi j'étais mortifiée. Rongée par la honte mais surtout proche de l'hyperventilation. Comme un abruti, tu m'as conseillé de respirer. Ca t'as fait rire, moi beaucoup moins.

La première fois que j'ai rencontré tes parents, j'ai angoissé comme une dingue. Le ventre tellement noué, l'estomac complètement à l'envers, j'en ai oublié de respirer. Ton père m'a fait remarquer à quel point j'étais blanche, j'ai rétorqué que c'était normal avant de presque tourner de l'oeil. J'ai eu du mal à reprendre mon souffle.



La première fois que tu m'as prise dans tes bras si intiment, si fougueusement, avec tant d'amour dans tes yeux, n'en parlons même pas. Je ne sais toujours pas comment j'y ai survécu.

Quand on a appris que j'étais enceinte, c'est toi qui t'es mis à évanouir. C'était tellement mignon. Même si tu ne respirais plus et que j'ai paniqué. J'aimerais tellement revoir ce mélange d'émotions si intenses sur ton visage...



Quand j'ai su que le bébé ne naîtrait pas, ce sont mes larmes autant que ma douleur qui ont voulu m'assassiner en empêchant l'air de circuler correctement dans mes poumons. On s'est étouffés ensemble ce jour-là. J'étais rassurée par ta main dans la mienne, tes paroles qui me réchauffaient un peu le coeur malgré ton regard aussi vide que le mien. Tu as toujours été plus fort que moi.

Et puis il y a eu ce jour où ton cri a été si fort qu'il a étouffé le mien. Qu'il a étouffé le bruit de mes os qui craquaient sous le choc. C'était si violent, j'en ai eu le souffle coupé.


Et je continue à étouffer, je suffoque. Bloquée dans ce corps qui refuse de bouger. J'ai l'impression qu'un trente-cinq tonnes s'est garé sur ma poitrine. Je ne peux rien dire, rien faire. Juste penser. C'est étouffant.

J'étouffe quand tu n'es pas là.

J'étouffe à cause de cette chaleur insupportable dans la chambre.

J'étouffe quand tu laisses toujours les stores fermés. J'aimerais que tu les ouvres, sentir les rayons du soleil sur ma peau, entendre le chant des oiseaux plutôt que le bip bip incessant des machines qui me maintiennent en vie.



J'étouffe, je voudrais crier. Crier au monde ma souffrance, mon ennui, ma solitude. Ma peine. Ta peine.

Je sais que ça te fait mal, de venir. Mais tu continues, et rien ne me ferait plus plaisir. Mon coeur n'est plus capable de s'emballer, mais crois-moi, quand tu prends ma main et me murmure que tu m'aimes, je m'étouffe encore.

Quand tu as annoncé au médecin que tu étais prêt à me laisser partir, j'ai été à la fois prise d'une panique monstrueuse qui m'a comme écrasée et d'un soulagement immense.


Je n'en peux plus d'étouffer.

J'ai encore peur, tu sais. Ta main serrant la mienne au point que mes os me font mal ne suffit plus à me rassurer.

Tout est déjà noir et pourtant ça s'assombrit encore. J'ai l'impression d'être sous l'eau. J'entends ce que tu me dis, mais tes paroles semblent être si lointaines que je ne comprends plus grand chose si ce n'est que tu m'aimes. Je t'aime aussi, cela ne fait aucun doute.


Mes poumons me brûlent tellement, j'ai l'impression qu'on m'étrangle. Je sais qu'on m'a enlevé ce truc, ce tube qui me permet de « respirer ». J'essaye d'ouvrir la bouche, d'aspirer un peu d'air, n'importe quoi ! Mais pas moyen.

Je n'aime pas ça, je n'aime pas ça du tout mais je sais que ce sera bientôt fini. Je n'aurais plus mal, mais toi si.
 Je n'étoufferai plus, ce sera ton tour.

Je suis tellement désolée mon amour. Est-ce que tu peux voir ce sourire sur mes lèvres ? Ca fait du bien, finalement.

Je n'entend plus rien et je crois bien que c'est la fin.


Comme depuis que je te connais... J'étouffe.

Recueil d'OSWhere stories live. Discover now