k e s h ╹ 06

Depuis le début
                                    

- Je préférerais qu'on parle de tout ça en tête à tête à vrai dire... reprend-t-il au bout d'une longue minute.

Il y a une certaine hésitation dans sa voix, comme s'il comprenait qu'il a commencé du mauvais pied avec moi, mais il y a aussi une sorte d'aisance, de confiance, qui a quelque chose de rassurant.

- Vous savez, la porte est fermée à clé, et ce n'est pas moi qui les ai, alors faîtes comme bon vous semble.

Un nouveau silence règne de l'autre côté de la pièce, suivi par une sorte de souffle de mécontentement. Je l'entends marmonner quelque chose, et ma mère répond par un petit hoquet de surprise. Le cliquetis des clés se fait entendre et une clé est rapidement insérée dans la serrure. A-t-il fait une réflexion à ma mère sur le fait qu'ils m'aient enfermée à clé ? La poignée tourne doucement, puis la porte s'ouvre, se cognant dans le bureau renversé qui l'empêche de s'ouvrir en grand. Un homme s'extirpe de l'entrebâillement de la porte, puis la referme derrière lui. Il joue quelques temps avec les clés en main, la tête baissée, avant de lancer avec négligence les clés dans un coin de la pièce. Les pièces de métal se cognent contre le mur et tombent dans un bruit sec. Mon regard revient sur l'homme, tandis qu'il hausse les épaules avec nonchalance et qu'un petit sourire s'esquisse sur son visage.

C'est un homme qui doit être dans la trentaine, voir la fin de la trentaine et le début de la quarantaine, je n'ai jamais été très douée pour donner l'âge des gens. Au premier regard, comme ça, il me paraît assez banal, ni trop grand, ni trop petit, ni trop gros, ni trop maigre, les cheveux d'un brun clair plaqués en arrière, une sorte de bouque coupé court lui entoure la bouche. Cependant, lorsque je regarde ses yeux, d'un bleu éclatant, j'ai comme l'impression d'y déceler des secrets que j'ai hâte de percer. Comme si cet homme savait des choses que je n'avais qu'une envie, découvrir à mon tour, comme s'il avait toutes les réponses à mes questions. C'est sûrement pour cette raison que je ne lui ai pas demandé immédiatement de quitter les lieux.

Il frotte ses mains sur son jean délavé et tire un peu sur son pull, dont je remarque quelques trous à l'extrémité. Il me fait penser à un vieux professeur de lettres, le genre de ceux qui ne comprennent la vie humaine qu'au travers des écrits et qui préfèrent vivre seul de peur d'être incompris au sein de la société.

Cependant, son visage reste rassurant, et mine de rien, je ne peux pas m'en plaindre, c'est tout ce que je demande. Sauf que j'aimerais que ce réconfort vienne de mes parents, et pas d'un inconnu.

- Je peux m'asseoir ? me demande-t-il en pointant du doigt le lit recouvert des plumes d'oreiller.

Je hoche la tête, les jambes recroquevillées contre ma poitrine. Il marche alors vers le lit, tout en prenant soin de ne se cogner nul part et de ne pas marcher sur les bouts de verre. Il s'assoit, teste le lit en rebondissant dessus comme un enfant, ce qui me vaut un haussement de sourcil, puis il passe une main dans ses cheveux, les ramenant encore plus en arrière.

- Je m'appelle Kesh, dit-il en levant les yeux vers moi.

Je pose mon menton sur mes genoux et je le scrute, non sans une certaine curiosité. Parce que c'est vrai, il m'intrigue. Cet espèce d'homme nounours gentil, et un peu bizarre.

- Vous l'avez déjà dit...

Kesh penche la tête sur le côté, le coin de ses lèvres se soulèvent légèrement, mais je peux voir qu'il se retient de sourire.

- C'est vrai, mais je n'étais pas vraiment sur que ça t'ait marqué.

- Vous avez un prénom bizarre, forcément ça m'a marqué... Enfin, je ne veux pas dire que je remarque que les trucs bizarres...

Paper ThinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant