j u m p ╹ 01

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Je n'ai jamais vraiment eu peur de la mort. Sinon, je ne serais pas où je suis, là, maintenant.

- Vi, descends !! On a compris que t'étais cap, c'était une blague !

J'enjambe la barrière de sécurité qui me sépare du vide. Elle est légèrement tremblante, et pendant un moment, je me dis que c'est parce que moi je tremble, mais ça n'a rien à voir, se sont les gonds qui sont prêt à lâcher. Cette barrière doit être aussi vieille que la ville elle-même, à mon avis, elle n'a jamais été changée une seule fois. D'ailleurs, il faudrait que j'en dise un mot à ma mère, histoire qu'elle prévienne le Maire, et qu'elle lui dise qu'il serait plus sûr de faire changer cette rambarde. Moi, j'ai décidé de l'enjamber pour rigoler, et aussi parce que j'ai sûrement un gramme d'alcool de trop dans le sang et une fierté un peu trop prononcée. Mais imaginons qu'il y ait un accident de voiture, la barrière ne sera pas assez fixe et robuste pour empêcher la voiture de dégringoler une dizaine de mètres plus bas dans le lac.

Je pense que l'eau doit être plutôt froide. Mais peu importe, j'ai assez bu pour crever de chaud.

- Vi, allez, descends !

Je pousse un petit rire tandis que mes mains agrippent la rambarde dans mon dos. Le vent souffle étonnement fort, et le soleil se couche au loin. C'est un spectacle magnifique, et mine de rien, ça vaut le coup d'œil. Je peux mourir maintenant, avec une aussi belle vue, je ne regretterai rien. Le soleil disparaît au loin derrière les arbres, j'ai l'impression de voir un feu s'éteindre, mais je sais que la nuit qui vient derrière est aussi belle que le feu infini du soleil. Je sens les rayons, infatigables et rassurants, qui chauffe doucement ma peau, qui éclaire la moitié de mon visage. Je ferme les yeux, je me concentre assez longuement pour sentir la chaleur du soleil sur ma peau descendre de plus en plus, et cesser de m'éclairer.

En bas, sur l'une des rives qui bordent le lac, et où nous avons installé notre feu de camp, mes amis m'appellent, inquiets. Mais je ne vois pas de danger. Ce n'est que de l'eau, c'est un saut dans le vide, et je n'ai rien à perdre. J'aime ma vie, mais je n'ai pas peur d'affronter la mort. J'ai toujours été comme ça, à jouer avec le feu, à danser avec le vide, à provoquer l'infini. Je n'arrive même pas à comprendre pourquoi ont-ils l'air de croire que le ciel va s'écrouler. Un grand sourire barre mon visage tandis que mes longs cheveux raides forment une tornade autour de mon visage, balayés par le vent. J'ai l'impression que l'eau m'appelle, qu'elle me rassure, qu'elle me convint de sauter.

Je lâche le métal froid de la barrière, et sans attendre une seconde de plus, je laisse le poids de mon corps m'entraîner vers l'avant, vers le vide, vers le lac. J'ouvre les yeux, pour profiter de la chute, je sens le vide glisser sous mes doigts écartés, je sens l'air siffler à mes oreilles, mon sourire ne disparaît pas. Mais au moment de tomber dans l'eau, tout s'assombrit, et je revois les deux yeux rouges de mon rêve.

Le monstre me dévore. L'eau semble s'ouvrir comme la gueule béante d'une bête, et ses crocs se referment sur moi.

Mon corps frappe la surface de l'eau avec force, et je m'enfonce de plusieurs mètres. Les yeux grands ouverts, je cherche de l'air, oubliant presque que je me trouve sous l'eau, ma bouche s'ouvre en grand, mais je suffoque de plus belle. Mes bras brassent l'eau autour de moi sans trouver la moindre chose à laquelle m'agripper. Je panique, littéralement. L'image du monstre obscurcit ma vue, même en sachant parfaitement où je me trouve. Je me débats, sentant l'eau s'engouffrer dans mes poumons. Je suis incapable de respirer, je me sens perdue. Je vois la lumière au loin, au dessus de ma tête, au dessus de l'eau. Les derniers rayons du soleil quittent cette Terre pour laisser place à la nuit. Les flammes, la lumière du soleil, semblent danser au dessus de l'eau, hors d'attente, et je tends la main, comme pour les effleurer. Je ferme les yeux. Je n'ai pas peur de la mort.

Lorsque ma tête sort hors de l'eau, je crache le liquide qui s'était immiscé dans mes poumons et je les remplis de l'air ambiant, allant jusqu'à les exploser. Je passe une main sur mes cheveux, pour les décoller de mon visage et me permettre de voir. Sur la berge, mes amis hurlent de joie, sautant sur place et brandissant le poing en l'air. Je lève à mon tour mon point en signe de succès, mais une présence, sous mes pieds, dans l'eau, le souvenir de cette image avant de me retrouver dans le lac, tout cela me hante, et je nage jusqu'au bord assez rapidement.

Lorsque je remonte sur la berge, mes vêtements collent à ma peau, mais une main m'agrippe par le bras et m'aide à me remettre debout. Une main passe dans ma nuque et guide mes lèvres jusqu'aux siennes, étirées en un sourire. L'eau fade du lac passe de mes lèvres aux siennes tandis que je souris également, prolongeant ce baiser si agréable. Ses bras passent autour de ma taille et me soulève légèrement dans les airs afin de faire un tour sur le côté. Je me blottis contre lui en enroulant mes bras autour de son cou.

Il me repose au sol et nos visages se détachent. Je me perds dans les yeux azur et la petite étincelle dans ses pupilles remuent de légers papillons dans mon ventre.

- Ça va ? me demande Parker, un sourire dans la voix.

Je hoche plusieurs fois la tête, l'euphorie remontant peu à peu. L'eau dégouline de mes cheveux sur mon visage et mes vêtements trempés me collent à la peau. Mon jean, déjà particulièrement serré, me semble être littéralement une deuxième peau, et mon t-shirt blanc et large laisse clairement voir mon soutien-gorge en dessous. Je frissonne tandis que le soleil a totalement disparu et qu'une brise fraîche glisse sur ma peau humide. Parker passe un bras autour de mes épaules et me blottit contre lui alors que nous rejoignions les autres. Tout le monde saute sur place, une bière à la main, et vient ensuite me féliciter à renfort de baisers sur la joue ou de grosses tapes dans le dos. Nous sommes une petite douzaine à nous être retrouvés sur la berge du lac, un feu de camp a été établi et les flammes ravivent un peu l'obscurité qui commence à nous entourer. Une petite enceinte a été posée sur un tronc, et reliée à un téléphone, elle diffuse une musique rythmée sur laquelle nous nous déhanchons tous par réflexe. Voilà la première d'une longue série de soirées de ce type, étant donné que les beaux jours du printemps se font sentir. L'euphorie de la fin de l'année scolaire monte aussi grandement, même si chacun prend le temps d'assurer ses arrières. Les inscriptions en université ont commencé, et les résultats seront bientôt dans nos boîtes aux lettres. Nous saurons bientôt où nous passerons l'année prochaine. Personnellement, j'ai tenté ma chance à Yale, et même si cette FAC me fait me retrouver à l'autre bout du pays, je m'en fiche, la Directrice m'a dit que j'avais toutes mes chances là-bas, mon dossier est impeccable, mes notes sont hautes, et je me vois déjà là-bas. Parker, lui, a décidé de ne pas aller à l'université, ce qu'il veut, c'est explorer le monde, devenir photographe. C'est ce côté artistique qui m'a le plus plu chez lui.

Pourtant, au début, c'est à peine si j'avais remarqué ce garçon aux cheveux clairs et au sourire éblouissant. Je n'étais pas partie pour avoir un homme dans ma course folle à l'université. Mais il a fini par me tomber dessus, et j'en suis devenue dingue. Ça fait déjà plus de deux ans qu'on est ensemble et qu'on ne se quitte plus. J'avais tellement peur au début, peur de l'avoir à mes côtés, peur de ce que cela pouvait représenter. Je suis une enfant adoptée et la notion de famille a une importance particulière pour moi. Les gens à nos côtés, ils ne nous apparaissent jamais comme acquis, et il est difficile de savoir quand l'autre est prêt à nous accepter dans son cercle, et quand nous, nous sommes prêt.

Je m'approche du feu, afin de récupérer de sa chaleur pour sécher un peu. Les gens autour de moi commencent à danser autour des flammes, mais je prend le temps de souffler. La musique cogne à mes oreilles, je sens la terre vibrer sous mes pieds, l'allégresse des autres m'emportent peu à peu, et je ferme les yeux, enfermée dans ce cocon de bien-être.

Paper ThinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant