p r o l o g u e ╹ 00

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C'est le fracassement sourd du bronze contre le bronze. De la pierre contre la pierre. Des os contre des os. C'est des coups, répétés, sans cesse, qui me frappent de l'intérieur. J'ai l'impression qu'ils m'appellent. Je sens un souffle violent dans ma nuque, il me glace le sang. Je sais que si j'ouvre les yeux, je ne verrais rien d'autre que des flammes, des flammes magnifiques qui ravagent le monde entier. Et la terre, aride et brûlante, à mes pieds, elle s'ouvrira et elle m'avalera toute entière.

Je le sais, je l'ai déjà vu des centaines de fois. Ce rêve ne s'efface pas, malgré les mois et les années qui passent, il est toujours là, à me hanter la nuit.

Et pourtant, j'ouvre quand même les yeux. Je ne peux pas m'en empêcher.Je sais que tout cela est un rêve, mais je ne peux pas y échapper.

Le sol craque sous mes pieds, il hurle de douleur tandis qu'il s'ouvre, formant un trou béant, laissant la place au vide. Son cri de douleur me transperce de part et d'autre, je le sens couler dans mes veines et atteindre mon cœur qu'il déchire tout autant qu'il est déchiré lui-même. La terre se déforme sous une puissance qui m'est totalement inconnu, elle est désertique et ne laisse place qu'à une immense brèche, dont la profondeur pourrait empêche d'en voir le fond.

Mais je ne tombe pas.

Je reste debout dans le vide. Mes pieds flottent dans les airs, contredisant les lois de la Nature. Mes yeux sont fixés sur cette terre meurtrie, sur cette plaie béante qui s'est créée sous mes pieds. Je la ressens, je sens sa douleur au plus profond de moi. Les coups résonnent toujours, le bronze contre le bronze, la pierre contre la pierre, les os contre les os.

Je regarde autour de moi, des silhouettes, des ombres, ils se battent entre eux. Ils sont rapides, et ils semblent danser dans les airs. J'aimerais leur parler, appeler à l'aide, mais je suis bloquée, ma voix est coincée dans ma gorge. Je ne comprends pas, d'ordinaire, je tombe, je suis avalée par cette brèche qui se forme, je suis propulsée dans les entrailles de la Terre, je brûle, je suis ensevelie, je disparais dans les abimes. Et je me réveille. Mais pas aujourd'hui.

- Vi.

Je baisse les yeux sur le vide qui se trouve sur mon corps. Jamais une voix n'a été si distincte. Jamais mon prénom n'avait été prononcé. Les appels étaient plus profonds, je les sentais vibrer dans mon corps, comme une force invisible qui voulait pousser mon corps vers un chemin. Là, c'est autre chose. C'est un sifflement à peine humain qui prononce l'unique syllabe de mon prénom.

- Vi.

Cette voix vient des profondeurs sous mes pieds, de la noirceur de la brèche. Je sens mes os se mettre à vibrer, ils s'entrechoquent les uns aux autres à l'intérieur de tout mon être, mes dents se mettent à claquer, mes oreilles à siffler. Mais, plus terrible encore, mon cœur a cessé de battre. Pourtant, on ne se rend jamais vraiment compte des battements de son cœur, sauf quand on fait attention, ou qu'on est stressé. Et je ne l'entendais pas non plus avant. Mais pourtant, là maintenant, sans même amener une main à mon cœur, c'est même y prêter attention, je sais qu'il a cessé de battre.

Je sais que je devrais paniquer, mais je sais aussi que c'est un rêve.

Et mon regard est attiré par autre chose. Quelque chose qui me paraît encore plus grave que mon cœur qui cesse de battre. Quelque chose monte des profondeurs sous mes pieds, c'est une ombre noir parmi l'obscurité, je ne la distingue pas, mais je la sens. Elle monte, elle ne s'arrête pas, elle n'accélère pas. Deux yeux rouges apparaissent alors à des centaines de mètres sous pieds, ils sont fixés sur moi. Mon corps tremble de plus en plus, comme s'il était sur le point d'imploser.

- Vi...

L'ombre prend forme peu à peu, bien qu'elle reste difforme et sombre, mais elle ondule dans les airs, longeant la brèche qu'a formé la terre en se séparant. Elle prend de la vitesse, et elle fonce sur moi. Cette fois, je commence à paniquer, j'ai envie de hurler, mais j'en suis incapable, ma bouche s'ouvre, mais aucun sort ne peut en sortir. Autour de moi, les bruits se font de plus en plus forts, de plus en plus puissants. Le bronze contre le bronze, la pierre contre la pierre, les os contre les os.

Je ne peux pas fermer les yeux, je ne peux pas bouger, je ne peux pas hurler, et pourtant, rien ne me retient. L'ombre continue de monter, elle ouvre une gueule béante, plus noire encore que le reste de son corps, où des dents lacérées pointent, brillant à cause des flammes qui ravagent la terre tout autour de moi.

Il va me dévorer, ce monstre va me dévorer.

Paper ThinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant