3- Étranges rencontres

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La nuit suivante, j'ai du mal à m'endormir, pour une raison qui m'est inconnue. C'est assez étrange, car d'habitude, mon autre conscience m'attire rapidement dans son monde. Quelque chose me bloque. Et cela renforce mon idée : mes rêves sont en train de changer, ils se modifient, ne sont plus les mêmes depuis hier.

Mais quand j'y arrive à quitter la réalité, il se passe quelque chose d'étrange : je n'ouvre les yeux dans aucun des décors du monde de mes rêves. Au lieu de ça, je me retrouve à flotter dans un espace blanc. Aucune ombre, aucune source de lumière apparente.

Soudain mes sens s'affolent. Un bruit sourd et bourdonnant me prend à la tête. Je n'arrive pas à déterminer d'où il vient. Puis tous mes nerfs semblent s'arracher de mon organisme, une douleur effroyable m'envahit toute entière... J'hurle. Ça fait si mal...

Je me contorsionne, une force semble porter tout mon corps vers l'extérieur. Enfin, ce sont les seuls mots que je trouve pour décrire ça. Mes bras en arrière, ma poitrine vers l'avant, je peine à respirer. Soudainement, tout se calme. Mes muscles se détendent en une fraction de seconde, la douleur disparait, comme si on avait soufflé dessus, et enfin je peux respirer.

Mes yeux sont clos. Je suis à bout de souffle.

J'entrouvre mes paupières au bout de quelques secondes. Quelqu'un est apparu. Sa silhouette m'est familière. Elle est assise sur un sol de la même couleur que tout ce qui nous entoure. Ses genoux sont ramenés contre sa poitrine et entourés de ses bras. Elle porte une robe blanche qui se confond avec le décor. Elle lève la tête.

Un battement de cœur.

C'est moi. Celle qui est assise là, c'est moi.

Un battement de cil.

Elle s'est transformée, elle est soudain plus petite. Son visage est enfantin mais est toujours aussi similaire au mien. Des larmes coulent le long de ses joues et une douleur d'adulte occupe son visage. Elle me murmure d'une voix fluette :

- Je suis désolée.

Un battement de cil.

Quand j'ouvre les yeux je découvre un jeune homme penché au-dessus de moi. Je suis allongée dans l'herbe. La rapidité avec laquelle le décor a changé me déstabilise encore un peu plus.

Je ne tente même pas de me dégager de l'emprise de la personne qui a tout contrôle sur moi. À mon grand étonnement, je n'ai aucune réaction. Le garçon non plus d'ailleurs. Il me regarde simplement, aucune émotion ne se laisse deviner sur son visage rond.

Comme rien ne se passe, je tente de bouger un peu ma main. Et elle m'obéit ! Non, ce n'est pas possible ! Je bouge mes doigts, un à un, comme un enfant qui apprend à marcher. Je vois soudain dans le regard noisette du jeune inconnu de la curiosité apparaître.

Je pose à plat mes mains sur ses épaules, toujours en m'étonnant de pouvoir bouger, et le repousse :

- Qui êtes-vous ? lui lancé-je d'un ton qui se veut agressif.

- Je te retourne la question, dit-il alors d'un ton neutre.

Je me suis redressée sur mes bras, me voilà assise dans l'herbe. Lui est accroupit devant moi. Je me tourne brusquement, observant le décor. J'ai une attitude paniquée, c'est la première fois que je peux contrôler mon corps... Je ne comprends plus rien.

Le paysage me rassure : je connais cet endroit, c'est celui dans lequel je me trouvais la dernière fois, avant de me réveiller. Pas loin, je vois Laden attaché par la bride à un tronc d'arbre. Il a l'air calme. Derrière le jeune homme, je vois la chaumière. Il me parle et me fait sursauter :

- Tu pleures ?

Je touche ma joue : elle est mouillée. Tiens, oui, je pleure. Depuis quand ? Je me frotte les yeux et me mets debout.

Puis, je refixe mon attention sur le garçon, toujours accroupit, il me regarde encore avec curiosité mais est apparu dans son regard quelque chose que j'identifie à de l'amusement.

- On dirait un animal perdu, tu viens d'un autre monde ou quoi ?

Il me dit ça, un petit sourire aux lèvres. J'ignore ce qu'il vient de me dire et lui redemande :

- Qui êtes-vous ?

- Je m'appelle Corwin. Heureux de te rencontrer, tu peux me tutoyer tu sais. Et toi, comment t'appelles-tu ?

Il me répond naturellement, pas la moindre hésitation ne peut se lire dans sa voix.

- Je...

Je le fixe. Il me fixe.

- Tania. Mais, que m'est-il arrivé ?

- Alors ça ! Je ne peux pas te dire, me dit-il, tout en se relevant. Je t'ai aperçu depuis ma fenêtre et quand je suis sorti de chez moi, bah, tu t'es effondrée. Je me suis précipité. Tu es restée inconsciente, je dirais... un peu moins d'une minute. C'est un étrange malaise que tu as fait là.

Je lui tourne le dos, et me mets à réfléchir. Un peu moins d'une minute, c'est à peu près le temps qu'a duré ma mésaventure dans le décor blanc, comme si le temps s'était arrêté depuis la dernière fois.

- Ho, ça va ?

Je me retourne brusquement vers lui, il est la seule personne qui puisse m'éclairer. Je décide donc de m'en faire un ami. En plus, il a l'air gentil.

- Oui, bien sûr. Je suis désolée, j'ai besoin de comprendre des choses, et j'aimerais que vous... que tu m'éclaires sur certains points.

- Ce sera avec plaisir ! Je me demande vraiment d'où tu viens, parce-que personne ici ne s'habille ni ne se comporte comme toi...

Je baisse les yeux sur mes vêtements et me rends compte soudain que je suis exactement dans la même tenue que celle que je portais en m'endormant, c'est à dire en pyjama. Je rougis.

- Je t'expliquerai.

- Viens chez moi, tu me raconteras tout.

Il désigne la chaleureuse chaumière que j'avais aperçue auparavant. Et puisqu'il le propose...

Je le suis donc en me disant qu'il est drôlement gentil envers moi qu'il ne connaît pas. Évidemment, je ne vais me plaindre. J'abandonne Laden au vert de l'herbe et me dirige vers la chaumière à la suite de Corwin.

L'héroïne de mes penséesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant