Le lecteur MP3

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Les inscriptions sur les touches ont été effacées par le temps, mais tous ces engins fonctionnent de la même manière, et pour quelqu'un comme moi qui baigne depuis tout petit dans la technologie, c'est un jeu d'enfant que de faire fonctionner le bazar. Un coup de « play » plus tard, j'entends une voix qui d'un coup me colle un frisson dans le creux du dos : le son est un peu étouffé, les paroles presqu'inaudibles, comme des chuchotements, et je ressens très clairement une forte impression de peur qui transpire de ces quelques mots et me gagne en moins de cinq secondes.

L'homme – car c'est bien une voix d'homme qui crachote dans ma véranda – n'a pas prononcé plus de sept mots – « je crois qu'ils sont après moi » – que je suis déjà bouleversé : moi qui m'attendais à découvrir la « playlist » d'un randonneur– serait-il plutôt Noir Désir ou Pavarotti ? AC/DC ou Tonton David ? Metallica ou Jacques Brel ? –, me voici en face de ce qui semble être les paroles d'une personne se sachant pourchassée. Mais d'où diable ce sac provient-il ?

Je regarde de nouveau le lecteur MP3, et m'aperçois que, comme le mien, il a une touche permettant d'enregistrer : l'appareil a donc également une fonction de dictaphone. Je m'imagine alors que son propriétaire, à qui il est arrivé un sale coup, a enregistré ses dernières impressions... Aurais-je trouvé le sac d'un disparu ? Et que lui serait-il arrivé ? Des animaux sauvages ? Un malfaiteur ? Mon esprit tourne à toute vitesse alors que dehors l'orage reprend : le ciel s'est soudainement obscurci et la pluie tombe de nouveau, cinglant les vitres de la véranda. Un instant j'aperçois mon visage qui se reflète dans la vitre : est-ce bien moi que je contemple, ou le disparu ? Je reste de longues secondes, hypnotisé par mon propre reflet, incapable de bouger, lorsqu'un coup de tonnerre claque dans l'air, faisant vibrer les murs de la maison. Dehors, il fait presque noir, alors qu'il n'est pas encore dix-huit heures. Je frissonne, et regarde le sac : que faire ? Emporter tout ça immédiatement à la Gendarmerie ? Et si j'écoutais encore un peu ce qui se cache dans la mémoire du dictaphone ?

J'opte pour la seconde option : après tout, ce truc est perdu dans la montagne depuis des mois et des mois, ce n'est pas une heure ou deux qui vont changer quoi que ce soit. Je me prépare un thé, puis je monte au deuxième, dans mon bureau, pour poursuivre l'écoute. La boisson brûlante me fait du bien, ainsi que la lumière crue de la lampe de mon bureau ; dehors l'orage se déchaîne, mais... c'est dehors. Ici, je suis au sec, au chaud, et seul. En sécurité. Malgré tout, lorsque je reprends le lecteur MP3 en mains, un nouveau frisson me parcourt l'échine. J'ai peur de ce que je vais entendre : et si le type avait enregistré en direct son meurtre par un détraqué ?

Stairway to hellOnde histórias criam vida. Descubra agora