1- « Car après tout, avec des si on change le monde.»

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« C'est con le bonheur, car c'est souvent après qu'on sait qu'il était là»  


Stade de France, 10 juillet 2016.

Eder tira, de loin mais fort. Plus fort que ne l'aurait pensé Hugo Lloris. Il se jeta au sol, tentant d'attraper le ballon qui filait à toute vitesse. Trop vite pour le gardien qui s'effondra à terre en même temps que ses rêves de victoire, la balle déjà dans les cages. Les portugais venaient de marquer un but à la cent-neuvième minute de cette finale de l'Euro deux-mille-seize. Leur victoire était quasi-certaine, désormais. Le capitaine des bleus ne réalisa pas sur le moment. L'adrénaline n'y était certainement pas pour rien. Il ne pouvait pas avoir manqué ce ballon. Pas ici, pas maintenant. Pas après avoir vaincu la Mannschaft en demi-finale. Pas au bout de cent-neuf minutes. Il ne réalisa que plus tard, quand il vit un Cristiano Ronaldo pourtant censé être blessé soulever la coupe qu'il aurait dû soulever, des larmes de joie remplaçant celles de douleur. Il ne réalisa que lorsqu'il vit une équipe sauter de joie, qui n'était cependant pas la sienne. Il ne réalisa que lorsqu'il vit ses équipiers tristes et déçus, certains en larmes. Il ne réalisa que lorsqu'on lui passa une médaille en métal gris autour du cou.

Et à ce moment là, Hugo Lloris s'en voulut, il s'en voulut d'avoir laissé passer ce ballon qui coûta la victoire à son équipe, à sa deuxième famille. Il s'en voulut plus qu'il n'était permis de s'en vouloir.

Dans les vestiaires, le jeune homme se contenta de quelques mots: "Vous avez tous très bien joué. Vous en faites pas, la prochaine fois on gagnera", balancés pour jouer son rôle de capitaine, pour tenter de réconforter ses coéquipiers. Des mots pensés, pensés très fort même, et dits avec une sincérité profonde. Des mots qui lui rappelaient à quel point il était seul responsable de cette défaite. Si seulement il avait arrêté ce tir... Mais il ne l'avait pas fait, et il les avait privés de ce titre pourtant mérité.

Lloris resta silencieux. Il ne dit rien en quittant le vestiaire, ne dit rien en montant dans le car. Il s'installa à l'avant, et appuya sa tête contre la vitre. Les autres joueurs comprirent qu'il avait besoin d'un moment pour réfléchir et le laissèrent seul sur son siège. Si seulement il avait sauté une seconde plus tôt. Il passa le trajet entre le stade de Saint-Denis et leur hôtel à imaginer ce qui aurait pu se passer si il avait arrêté ce maudit ballon. Et si Griezmann n'avait pas manqué sa tête. Et si Gignac avait visé dix centimètres plus à droite et n'avait pas touché le poteau. Et surtout...si il avait arrêté ce maudit ballon.

En sortant du car, il ne dit toujours rien. Le niçois monta directement se coucher, incapable d'avaler quoi que ce soit, l'estomac noué par le remords et la tristesse. Ils avaient perdu, mais que dire... c'était le jeu. Il n'en voulait pas aux portugais, au contraire. Il ressentait, quelque part perdue au milieu de l'amertume, une pointe de joie pour les joueurs adverses. Mais ça ne l'empêchait pas de s'en vouloir à lui. À une demi-seconde, il aurait eu cette balle.

Putain.

Dans le lit de la chambre d'hôtel, il peina à fermer les yeux, rongé par ses pensées, se torturant lui même avec des "et si", imaginant des scénarios différents. Car après tout, avec des si on change le monde. Les klaxons portugais résonnant dans la capitale ne l'aidèrent pas à trouver le sommeil. Ils auraient dû faire la fête, eux aussi. Il aurait dû permettre à ses équipiers, à ses amis de faire la fête.


|| Point de vue d'Antoine Griezmann ||


Le petit discours dans les vestiaires furent les derniers mots que j'entendis de la part de notre capitaine depuis la fin du match. J'avais les idées qui divaguaient, et l'esprit qui se perdait. Mais qu'est-ce que j'avais foutu ? On aurait pu l'obtenir cette coupe, j'aurai pu rendre mon équipe, ma famille, et la France heureuse. Mais je m'étais planté.

A trouble never comes on its own.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant