11. Même une horloge arrêtée est à l'heure deux fois par jour

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La montre s'était calmée peu à peu sur le voyage du retour, jusqu'à retrouver son rythme capricieux et lent. La phrase de l'horloger résonnait en moi. On a la montre qu'on mérite. Plus j'y pensais, et plus ces mots me blessaient, aussi inconséquents qu'ils paraissent. L'homme avait mis le doigt sur quelque chose.

Ce qui m'avait paru être au départ un véritable bijou d'horlogerie se ternissait de jour en jour. Derrière le verre de plus en plus opaque et sale, j'avais l'impression que les rouages rouillaient ou s'encrassaient, comme si des mains pleines de terre les avaient manipulés. Les cercles si harmonieux, qui s'emboitaient parfaitement les uns dans les autres, semblaient peu à peu souffrir d'aspérités et d'irrégularités, qui entraînaient des crissements à chaque tour de rouage.

Pourtant, j'avais tout fait pour qu'elle garde son éclat. J'en avais pris soin comme sûrement personne auparavant. La montre qu'on mérite... Je n'étais pas capable de m'adapter au standing de ce bijou, s'adaptait-il donc à moi ? Il devenait usé, inutile, complètement brisé à l'intérieur. Et pourtant, je continuais de le porter au poignet, comme persuadé que c'était la seule chose que je méritais.

Les nuits suivant ma rencontre avec l'horloger, je fis quelques terreurs nocturnes, qui me maintinrent éveillé à des heures de plus en plus tardives. Et même une fois dans les bras de Morphée, je m'échappais de son emprise avec une dérangeante facilité. À plusieurs reprises, je me levais en pleine nuit, en sueur, pour saisir la montre posée sur ma table de chevet. Les battements violents et caractéristiques de son cœur me réveillaient-ils en sursaut ?

À la lueur de la lune, elle semblait fonctionner comme jamais elle n'avait fonctionné. Les rouages dansaient les uns contre les autres, formant une mélodie harmonieuse de cliquetis et de battements. Les dorures et argenteries brillaient avec éclat, comme animées par une vive lueur intérieure. Les aiguilles tournaient si vite que je me perdais dans leurs tours incessants, jusqu'à replonger dans les draps.

Au matin, tout était à nouveau terne et fonctionnait au ralenti. La montre avait tout perdu de sa précision de la nuit, et retardait de plus d'heures que je n'avais dormi.

Les jours s'écoulèrent ainsi avec difficulté. Je vidais les maigres réserves de mon appartement, quand je pensais à manger. Plus rien ne m'animait réellement, et il m'arrivait de rester assis quelques heures face à un écran d'ordinateur éteint. Je reprenais les vieilles habitudes. Si ce n'est qu'en lieu et place de tapoter nerveusement sur mon clavier pour former de stupides histoires d'amour, je me contentais d'affronter le néant d'un écran noir. Le résultat était à peu près le même.

On venait de toquer trois fois sur la porte. Des coups durs et francs, de ceux qui n'annonçaient pas une bonne nouvelle. Propriétaire furieux d'un loyer impayé ? Voisin du dessous après une fuite d'eau ? Policiers ou pompiers venus récupérer le cadavre du type qu'on n'avait pas vu depuis quelques semaines, et dont l'appartement dégageait une odeur curieuse ?

Trois nouveaux coups, qui me sortirent immédiatement de mon fil de pensée. J'examinai brièvement ma vieille chambre étudiante. Une couche de poussière et de crasse mangeait le parquet, quand il n'était pas recouvert de sacs-poubelle débordants ou d'autres déchets plus ou moins avouables. Les araignées s'étaient emparées d'une partie des murs, de même que des taches de moisissure qui me semblaient de plus en plus impressionnantes.

Trois nouveaux coups. Il fallait pourtant ouvrir. Malgré l'état du plancher, malgré l'état des murs, malgré l'état de l'appartement. Et malgré mon état.

La silhouette semblait plus imposante qu'à son habitude, dans le cadre de la porte. Mon ami était là, les traits tirés, l'expression sévère. À peine avais-je ouvert qu'il me poussait vers l'intérieur, sans même prêter attention à l'aspect déplorable des lieux.

La montre automatiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant