6. Remettre les pendules à l'heure

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— Eh bien ! On peut tu dire que tu l'apprécies cette montre. C'est la dixième fois que tu la regardes depuis que je suis arrivé ici.

Je rougis. Mon ami était affalé sur mon vieux fauteuil. Pour ma part, j'étais fixé sur ma chaise de bureau, tournée vers lui. Il était arrivé à l'improviste, comme il le faisait parfois. Cela faisait trois semaines qu'il m'avait offert ce présent, et je ne lui avais pas envoyé de nouvelles depuis.

Il faut dire que je n'avais pas vu le temps passer, ce qui était normal pour quelqu'un dont la montre ne fonctionne pas.

— Désolé, c'est l'habitude, répondis-je un peu embarrassé. Elle s'arrête souvent. Je n'arrive pas à la faire fonctionner correctement.

— Oh ? Ce n'est que ça ? Laisse-la moi, je peux aller la donner à mon horloger.

J'eus un mouvement de recul alors qu'il tendait le bras. Une fois de plus, j'avais peur qu'on essaie de m'arracher ce bijou des mains.

— Non, non ! Pas la peine. Je pense que je vais y aller moi-même dans les jours à venir.

Je n'osai pas lui dire que son horloger l'avait déjà examinée, et qu'il s'était trompé à son compte. Peu après ma visite dans la bijouterie, la montre avait de nouveau fait des siennes. Elle fonctionnait de manière erratique, s'arrêtait et se remettait en marche sans que je ne puisse rien contrôler.

— À ce propos, osais-je demander, le type à qui tu l'as achetée... Il ne t'a rien dit de spécial ? Il t'a dit qu'elle fonctionnait ?

— Oui, d'après lui elle n'avait aucun problème. En toute franchise, je l'aurais achetée si elle ne marchait pas. Tu as vu ce bijou ? Et pour le prix qu'il m'en demandait, c'était presque du vol de ma part. Je ne devrais pas te le dire, mais mon bijoutier m'a même demandé si je ne voulais pas lui vendre.

Cela ne m'étonnait pas, vu qu'il m'avait fait la même proposition quelques jours plus tôt.

— Et puis, je ne sais pas comment l'expliquer, continua mon ami, mais je trouve que cette montre te ressemble. Je pense que c'est pour ça que je l'ai achetée à la base. C'est bête parce que je sais que tu n'es pas vraiment du genre à porter ça, mais... Je sais pas. Elle paraît faite pour toi.

Je riais nerveusement, tout en contemplant le cadran. J'avais la même impression un peu étrange. Plus le temps passait et moins je voyais le bijou qui m'avait paru si ostentatoire des premiers jours. Comme si une lueur terne venait entacher le verre et rendre le cadran moins brillant.

La montre avait quelque chose de plus triste à présent, de plus mélancolique. Comme il le disait si bien, elle me ressemblait. C'était peut être à force de la regarder, ou tout simplement parce que je savais qu'elle ne fonctionnait pas. Difficile de rester fasciné par une montre qui ne donne pas l'heure. Ou c'était peut-être l'habitude si humaine de s'approprier nos objets, comme s'ils finissaient par faire partie de nous.

Je n'osai pas parler de ça à mon camarade. Une montre mélancolique ? Pour qui m'aurait-il pris ? Il savait que j'étais un petit peu bizarre parfois, mais je ne tenais pas à ce qu'il me prenne pour un fou.

— Et ce type qui te l'a vendue, continuai-je, tu n'as pas son numéro ?

— Tu penses ! C'était en brocante, j'allais quand même pas lui demander une carte de visite. Et il n'avait pas forcément l'air de s'y connaître, tu sais. Il vendait tout un tas de vieilles babioles. Entre nous, je pense qu'il avait vidé le grenier de ses parents ou de ses grands-parents. Je me demande s'il ne m'a pas dit qu'elle appartenait à son grand-père. Pourquoi toutes ces questions ?

La montre automatiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant