Elsy met les formes

Auditeur surprise

Concentrée, je relis les notes que j'ai griffonnées, moment de flottement, vent de panique, il me manque une feuille. Celle ou je développe le nouveau contenu que je veux donner à mon émission. C'est pas grave. Il faut que je rassemble mes idées et que je me calme. Je dois obtenir dix minutes pour m'entretenir avec l'homme le plus occupé et inaccessible que je connaisse.

Mon scénario est simple. Le tête-à-tête se fera dans le couloir, j'attend sa pause déjeuner et je lui saute dessus quand il sort de son bureau. Justement la porte s'ouvre d'un seul coup, alors que je suis perdu dans mes fiches. Mon boss, imposant dans son costume trois pièces, avec ces lunettes griffées sur les yeux, et son téléphone à l'oreille, se dirige vers l'ascenseur, avec dans son sillage, les trois pimbêches blondes armées de bloc note, qui ne le quitte jamais.
Je me précipite derrière eux, arrivé devant l'ascenseur, je tombe, je me suis pris le talon dans la moquette, juste avant la fermeture des portes. littéralement propulsé au milieu des trois greluches qui ont la gentillesse de s'écarter afin que je m'écrase lamentablement. Heureusement les bras puissants de mon boss me  rattrape en plein vol. Du coup j'en oublie mes fiches que j'ai laissé tomber.
- tout va bien, Elsy?
- Bonjour, Patron. Oui, désolé, juste cette moquette, mais ce n'est rien.
Décontenancée, je me mets à débiter à toute vitesse.
- Je voulais vous parler de nouvelles idées pour mon émission. Enfaite j'y est réfléchis et je pense que nous pouvons retravailler la structure de l'émission avec des invités célèbres, mettre en place des interviews sur des sujets précis, j'ai également d'autres idées....
Mais il ne me laisse pas le temps de finir.
- Parfait écoutez Elsy épatez-moi, faite preuve d'audace. Prouvez-moi que vous pouvez atteindre les résultats que vous aviez quand vous étiez au Top.
Son regard se porte sur mes fiches éparpillées sur le sol.
- Déposez-moi vos notes manuscrites sur mon bureau. Et éblouissez moi!
Arrivé au rez-de-chaussée les portes s'ouvrent le trio gagnant, mon patron et son téléphone à l'oreille disparaissent en quelques secondes, me laissant seule avec mes réflexions. Gagné! Maintenant il faut que je prouve que je suis encore au top. Il faut que je me mette au travail.

7,30h, derrière mon micro, entourée d'écrans d'ordinateur et de télévisions, je lance les flashs d'information, dis les publicités. Aujourd'hui je lis mon texte par automatisme mon esprit est ailleurs :
- "Un programme aux petits oignons pour la Fête de la gastronomie. Ce week-end, la 4ème édition régionale reprend les recettes qui ont fait son succès et pimente l'événement avec de nouvelles saveurs"
Il faut que je trouve une idée que je puisse mettre en place rapidement, quelqu'un de célèbre, mais qui? je ne connais personne moi.
- "Au menu cette année un invité de prestige : Christian Kamilach le grand pâtissier parisien"
La solution est là sous mes yeux, mais oui, un grand patissier. Je m'y connais moi en pâtisserie.

Mon collègue Pat Gélinas, vient de faire son entrée dans le studio et s'installe derrière son micro, il m'envoie un baiser. Je me demande s'il est au courant des chiffres d'audience, il a peut être lui aussi peur de perdre son emploi. La pause publicitaire s'achève, notre jingle annonce le début de l'émission.
Trois, deux, un
- Bonjour à tous et à toute, vous écoutez bien Elsy et Pat, pour une nouvelle émission ce soir sur le thème, Pat, des regrets c'est bien ça? Je souris à Pat et le laisse parler.
- Oui en effet Elsy, les regrets dans un couple sont constructifs! Ils permettent de tirer une leçon pour l'avenir, de réparer le mal que l'on a pu faire.
Attentive, à l'écoute de mon partenaire, mes réflexes sont revenus je fait abstraction de mes difficultés professionnelles pour le moment. 
- Très bien je vous propose de prendre les appels, Pat. 
Les appels se succèdent avec des moments de rires, de gènes et d'amour. Jusqu'au moment le plus embarrassant de toute ma carrière dans cette radio. Un nouveau correspondant est en ligne, on nous annonce son prénom: Grégoire.
- Eh, bien, bonjour à vous deux.
- Bonjour à toi, Grégoire.
En cœur Pat et moi lui répondons. Cette voix me dit quelque chose. Je me concentre afin de l'associer à une personne.
- Donc comme la plupart des hommes, je suis assez récalcitrant quand il s'agit de parler d'engagement comme le mariage, les enfants et tout ce qui va avec.
Non ça y est je sais....mais ce n'est pas possible. Ce n'est pas lui! Je suis sous le choc.
- En effet une partie de la gente masculine rencontre ces difficultés.
L'analyse de mon psy de collaborateur commence. Je lui lance une œillade désespéré qu'il prend pour un encouragement.
- Mon amie et moi étions ensemble depuis le lycée. Notre amour était spécial, elle était formidable, notre couple magnifique.
Pat me sourit, et lève les yeux devant tant de mégalomanie. Je détourne mon regard et prends mon verre en main afin de me donner du temps pour encaisser la suite qui ne traine pas.
- Mais notre relation a prit une tournure à laquelle je ne m'attendais pas, la demande en mariage qu'elle espérait et pour laquelle je n'étais pas prêt comme je l'ai déjà dis. J'ai donc décidé de rompre afin de lui laisser la chance de rencontrer quelqu'un qui n'aurait pas peur de s'engager, doutant de l'intensité de mon amour.
Je me sens glisser sous la table, je voudrais disparaître. Pat m' interroge silencieusement avant de poursuivre la conversation.
- Grégoire, vous avez contacté votre amour de jeunesse pour lui dire combien vous regrettiez de ne pas avoir pris la bonne décision, puisque c'est de ça qu'il s'agit n'est- ce pas?  
Ma gorge se sert, je n'arrive plus à respirer. J'essaie d'avaler une petite gorgée d'eau mais je manque de m'étouffer avec, surtout quand j'entends ce qui suit.
- C'est la raison de mon appel, on fait des erreurs et on se rends compte plus tard, trop tard, de ce qu'on a perdu.  Parfois, il faut du temps pour osez réparer l'irréparable. Si tu veux essayer de me pardonner, si tu veux bien croire en mes regrets, alors je te donne rendez-vous ce soir au "petit moment" notre restaurant à 20,30h. Tu m'as entendu, Elsy?
Pat me dévisage, la bouche ouverte. Les techniciens me font signe de répondre. Je prends une profonde inspiration avant d'ouvrir la bouche devant mon micro.
- Oui en effet je t'ai entendu. Dis-je doucement en retirant mon casque et me cachant le visage dans les mains.
Pat en reste bouche bée. Faites quelque chose, une pause pub. Sauvez-moi!
Tout les appels qui suivent me demande de l'excuser de lui redonner une chance, disent qu'il a changé, que je suis bien placé pour analyser la situation. Je n'ai qu'une envie, courir chez Emma me soûler,  et pleurer aussi. Je viens d'être humilié par le même homme pour la deuxième fois de ma vie.