Chapitre 13 : Point de vue

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En un infime instant, ils s'étaient retrouvés tous les trois dans ce tunnel de pierre froide maintenant familier pour Aurore. Ils étaient partis.

La jeune fille réalisa pleinement qu'elle laissait derrière elle sa mère folle d'inquiétude, sans un moyen pour la contacter à nouveau. Cela la peinait, mais il ne fallait pas se laisser abattre. Elle décida de plutôt calmer son sentiment de curiosité :

"Dites...Comment vous faites pour ne pas vous perdre ? Pour retrouver ce couloir à chaque fois ?"

Ce fut Rob qui lui répondit après un temps d'hésitation, la tête penchée sur le côté, indiquant qu'il réfléchissait :

"Quand on fait le Passage, tu veux dire ?"

"Hm hm.", confirma rapidement Aurore.

"Je ne vois pas ce que tu veux dire, on ne peut pas se perdre, il n'y a pas cinquante chemins ! Il n'y a qu'ici et l'Autre Côté."

L'information troubla la jeune fille.

"Vraiment ? Je veux dire, j'ai essayé de voyager seule, et j'ai l'impression qu'il n'existe pas que deux mondes, j'ai eu l'impression de pouvoir aller...N'importe où. Vraiment, vraiment n'importe où."

Lydia, à sa droite, secoua la tête de droite à gauche :

"Je ne vois pas de quoi tu parles...On n'a jamais rien connu d'autre qu'ici et votre monde."

La jeune fille insista :

"Je vous jure, une fois j'ai atterri dans un désert, et une autre dans une grotte, je suis tombée sur...Quelque chose d'ancien. Quelque chose qui n'est ni de ce monde ni du mien."

"Tu es sûre que tu ne rêvais pas ?" avança Rob en haussant les épaules.

"Oui, je suis sûre...Laissez tomber." conclut Aurore, déçue.

Ce n'était pas aujourd'hui qu'elle percerait ce mystère.

"Pressons le pas." proposa Lydia. "Il n'y a pas de temps à perdre."

Ils arrivèrent vite au bout du tunnel et débarquèrent à nouveau dans le grand amphithéâtre ou trônait Blanche, face à des dizaines de personnes en robes bleues ou vertes.

Blanche leva le regard vers le trio d'arrivants, et tous se retournèrent vers eux d'un même mouvement. Lydia et Rob prirent place parmi les leurs, tandis qu'Aurore restait sur place, et personne ne décrochait son regard d'elle. La situation la gênait passablement, ce fut donc avec soulagement qu'elle constata que Blanche reportait l'attention générale sur elle en l'appelant :

"Approche, Aurore. Nous allons discuter d'un plan d'action."

Elle sentit la pression de tous les regards à nouveau braqués sur elle tandis qu'elle descendait les gradins jusqu'au trône de Blanche, se plaçant à ses côtés. Un nouveau regard sur son visage rond, cadré de courtes boucles châtains, lui confirma cette impression étrange de l'avoir connue dans une autre vie.

"Mes amis !" commença Blanche, "Le moment est venu ! Le moment est venu d'éradiquer la menace qui pèse sur nous depuis bien des années. Ils sont passés à l'offensive ce matin, et si on les laisse agir, ils se multiplieront comme de la vermine et nous anéantiront. Ce qu'il ne savent pas, c'est que nous avons la clé de la victoire entre nos mains. Aurore !"

La jeune fille accueillit le dernier mot avec un choc de surprise. La salle éclata en applaudissements, seule une personne restait froide à la déclaration dans l'assemblée. Claire. Quand les acclamations retombèrent, Blanche la remarqua et lui accorda la parole :

"Y aurait-il des objections ?"

"Vous la forcez dans ce combat, alors qu'elle n'a même énoncé son avis. Chacun risque sa vie en s'engageant dans ce conflit, chacun l'a fait en tant que personne responsable et libre. J'aimerais lui parler un instant seule à seule afin de m'assurer qu'elle veut vraiment le faire."

Blanche haussa un sourcil, étonnée :

"Nous n'avons pas le temps pour ça. Leur recrutement se passe en ce moment-même !"

"Et avec Aurore à nos côtés, ce ne sera pas un problème." fit remarquer Claire. "Mais si nous l'utilisons contre son gré, nous ne valons pas mieux que ceux que nous combattons."

"Très bien. Parlez si cela vous enchante, mais ne perdez pas de temps.", accorda Blanche.

Aurore suivit donc la femme en robe bleue à l'écart de l'assemblée, quand elle l'emmena dans une petite salle isolée à la faible lumière blanche.

"Vous savez..." engagea l'adolescente, "Je suis prête à vous aider. Pour l'instant les seuls qui se sont mal comportés avec moi, ce sont ceux que vous combattez."

"Es-tu certaine de ça ?", demanda Claire, "Te rappelles-tu des conditions de ton arrivée ici ?"

Elle marquait un point. Aurore avait d'abord subi ce qui ressemblait fort à un enlèvement pour rejoindre l'Autre Côté.

"Oui mais..." hésita Aurore, "Ils ne savaient pas à quoi s'en tenir sur moi, et les Rouges, eux..."

"T'ont fait exactement la même chose, n'est-ce pas ?", compléta Claire.

L'adolescente se stoppa, prit le temps d'y réfléchir. Dans la suite des événements, il était difficile de se débarrasser de sa subjectivité, mais la démarche des Rouges à son égard avait effectivement été la même que celle des Verts. Aurore n'avait, sur le moment et après coup, jugé cet événement comme une agression sûrement parce qu'elle avait des a priori sur leur groupe. C'était une question de point de vue.

"Ne te méprends pas, je n'ai pas l'intention de vouloir te faire changer de camp. J'ai choisi le mien, et je suis Blanche en connaissance de cause. Mais j'aimerais que ce soit la même chose pour toi, parce que tu joueras un rôle essentiel dans cet affrontement.", expliqua Claire.

Aurore hocha la tête lentement. Elle hésita, puis décida de se livrer en partie :

"Les Rouges m'ont dit qu'ils...Ils se voyaient comme des sortes de rebelles luttant contre l'oppression opérée par Blanche."

Elle ne précisa pas que celui qui lui avait dit ça était un de ses proches. Inutile de compliquer la situation plus que nécessaire.

"De leur point de vue, ça fait sens.", acquiesça Claire. "Après tout, historiquement, le groupe de Blanche est le premier à s'en être pris à celui des Rouges. Et ils étaient minoritaires, à l'époque. Ils étaient vus comme des anomalies. Et leurs auras, négatives. Elles s'opposaient aux nôtres. Elle a d'abord pris la décision de les bannir, puis elle a décidé de régler le problème autrement en faisant tout simplement disparaître les auras négatives. Sauf qu'ils y tenaient, autant que nous aux nôtres. C'est à ce moment que le Passage s'est fait et qu'on a été forcés d'aller les chercher dans votre monde, d'ailleurs."

Ces explications résonnaient avec un sens particulier dans la tête d'Aurore. Au bout du compte, les Rouges étaient donc au bord de l'extinction et forcés de se battre pour ne pas disparaître.

AuraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant