Cherry Blossom

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Nous suivions tous le mouvement. Le mouvement fluide de la foule sur cette grande place encombrée. Emportés par les courants de groupes, vociférant sur les braves qui osaient tenter le contresens. Nous suivions le rythme des allées et venues qui animaient cette place constamment grouillante. Le soleil du printemps tapait sur cette fourmilière humaine et la brise fraîche leur donnait tout de même le courage de recréer ces courants. J'y étais empêtré, voguant au gré du désir de la foule. Traverser cette place de bout en bout, le plus vite possible. Comme d'habitude les yeux rivés sur le sol pour ne pas risquer le faux pas qui contracterait la foule et empêcherait la fluidité. Ne pas relever la tête, pas à pas, se rapprocher du moment ou quitter cette marée, c'est la loi silencieuse du bon roulement des vagues.

Alors quelle était donc la raison pour laquelle, aujourd'hui, j'avais levé le regard de cette vue morose pour découvrir la merveille de l'endroit ? Le pétale m'avait barré la route. Il m'avait bloqué dans mon élan à la suite d'un coup de vent venu fouetter mon visage et m'avait arrêté dans ma course effrénée. J'avais détruit l'harmonie des courants, déstabilisant une dizaine de mes semblables qui eux n'avaient pas vu ce pétale. On m'avait bousculé, une fois, deux fois, trois fois, puis immobile, j'étais devenu un élément du décor. Les vagues me contournaient désormais, réparties dans une nouvelle harmonie pendant que moi je fixais ce minuscule tissus rose qui s'agitait sur le sol. En un coup de vent, il virevolta et s'envola en tourbillon, emporté par la fraîche brise et mon regard ne le quitta pas. C'est à ce moment là que je le vis, lui, pour la première fois. Il était là de l'autre côté de la place, immobile face à l'arbre du pétale. Il fixait cet arbre, grand et majestueux, tout aussi majestueux que lui, élancé et poétique dans son long manteau noir. Ce tableau, cette fresque magnifique m'attirait, elle me demandait de venir, de m'extirper du courant morose et de m'insérer à cet art. L'immobilité m'avait alors abandonné, je retrouvais l'usage de mes jambes, je me rajoutais au spectacle de la fourmilière. Je la remontais à contresens, perturbant à nouveau son bon cours. Mais plus je m'eloignais de ce spectacle et plus cette toile magnifique se rapprochait.

J'étais maintenant là, en face à face avec ce carré de nature au coeur de la place, cote à cote avec l'inconnu poétique et enfin je découvrai son visage. Il était statique sans émotion, le regard ancré dans les milliers de fleurs roses composant l'arbre et pourtant, des torrents de larmes dévalaient sur ses joues. Il ne bougeait pas, ne disait rien et pourtant il traduisait tant de sentiments. Et pendant de longues minutes je le regardais pleurer devant le spectacle que lui offrait la verdure et lui ne tiquait pas. Comme personne d'autre d'ailleurs. Aucune des fourmis ne se souciait du malheur de l'homme, elles couraient toutes là ou le vent les menait même s'il s'agissait de leur perte. Mais moi j'étais là, je m'étais arrêté et j'avais compris que cet arbre rose ne colorait pas les pensées de cet homme. Et j'étais resté avec lui. Des heures durant, peut être je ne sais plus, je ne me souciai plus du temps. Et quand il eut finit de déverser ses flots de larmes, j'étais toujours là, à fixer comme lui cet arbre qui lui faisait tant de peine.

Comment t'appelles-tu ? 《Hoseok.》, qu'il m'avait répondu. Enchanté Hoseok, moi je suis Jimin. Et il avait sourit en utilisant la manche de son long manteau noir pour s' essuyer ses joues trempées. Pourquoi tu pleures ? 《Parce que c'est beau.》Mais justement, tu devrais en sourire. 《Non, regarde bien.》

Alors, j'avais toisé l'arbre. J'avais cherché ce qu'il avait de si triste, plongeant mon regard au coeur de ses fleurs pour lui arracher ses secrets. Mais il était toujours aussi beau. Il veillait sur nous de haut en nous gratifiant d'une pluie de pétales rosés. Et comme je ne comprenais pas, je me retournai vers lui pour qu'il m'aide à comprendre.

《Tu ne vois pas ?》Non, désolé Hoseok, je ne vois pas. Cet arbre à moi, il ne me donne que de la joie. 《Est-ce que tu crois que dans deux jours il te donnera encore de la joie ?》Je ne sais pas Hoseok, aujourd'hui on est mercredi, et je ne sais pas si je serais joyeux vendredi. Et il avait ris, d'un rire fluet et cristallin. Mais moi je ne riais pas, j'étais sérieux. 《Laisse moi répondre à ta place alors. Dans deux jours il ne procurera plus de bonheur. Et tu sais pourquoi ?》Non Hoseok, je ne sais toujours pas. 《A chaque bourrasque, il perd ses fleurs, dans deux jours il n'y en aura plus. C'est comme le bonheur, à chaque tempête il s'effrite un peu plus jusqu'à ce qu'il n'y en ai plus.》

Il avait baissé la tête, pensif, alors que moi j'étais toujours trop bête pour comprendre le message qu'il faisait passer. Les fleurs s'envolent comme le bonheur, virevoltant dans les airs avant de disparaître. Je crois que j'avais saisi. Ce n'était pas l'arbre qui était triste en revanche c'était la métaphore qu'il dégageait qui rendait Hoseok particulièrement triste. Il était triste et moi j'étais heureux. Quelle injustice que les sentiments humains près à ravager une personne alors qu'ils transmettent le bonheur à tous les autres. Je voulais l'aider, je voulais palier cette injustice humaine et une nouvelle fois perturber le cours des habitudes. Alors j'avais inséré ma main dans la sienne en une caresse douce et volatile et je l'avais serré comme je le pouvais pour le raccrocher à moi et lui transmettre la joie que me donnait cet arbre. Il ne fixait plus ses pieds mais droit dans mes yeux et moi je lui souriais comme le simple que j'étais. Les mots n'étaient pas nécessaires et les gestes parlaient parfois bien mieux qu'eux.

Viens avec moi Hoseok, je veux te montrer quelque chose. 《D'accord.》avait-il juste répondu. Et je n'avais pas besoin de plus.

Je le tirai à ma suite à travers la foule que j'avais rejointe à nouveau. Mais cette fois tout était différent. Je regardais au loin, j'allais vite et n'avancai pas au gré des courants. Cette fois mon but était tout autre que de traverser cette place de bout en bout sans la perturber. Je me souvenais de cet endroit sans jamais y être revenu. Je marchai jusqu'à quitter cette fourmilière de malheur, j'empruntai de nombreuses rues différentes, Hoseok faisant claudiquer ses chaussures juste derrière moi, quand enfin nous y fûmes. La grande et longue allée, vide de toute vie humaine, presque surnaturelle, se déroulait face à nous. Elle était entourée de dizaine d'arbres semblables à celui de la place, qui a chaque bourrasque recouvraient un peu plus le sol de ce tapis singulier et rose. L'homme en manteau noir en était bouche bée tant le spectacle était artistique. Et je le tirai un peu plus en dessous de cette pluie de pétales, noyant nos pieds dans la moquette formée.

Regarde Hoseok, on marche dans le bonheur. Et il pouffa. Ce n'était pas drôle, c'était lui qui avait dit que ces fleurs représentaient le bonheur. 《Tu voulais me faire piétiner le bonheur ?》Non Hoseok, je voulais que tu viennes ici pour faire le plein de bonheur, c'est différent. 《Je ne vais quand même pas ramasser des pétales ?》Et pourquoi pas ? Je peux même les ramasser pour toi si tu as honte.

Alors je m'étais accroupi,  j'avais enveloppé dans mes mains deux gros tas de ces pétales doux. Je m'étais relevé lentement et les avaient fait pleuvoir sur lui. C'était beau. Ça virevoltait au dessus d'un être beau. Et il souriait, encore. Peut être que j'étais en train de le guérir.

《Tu sais Jimin, comme je l'ai dis dans deux jours il n'y aura plus rien de tout ça, c'est éphémère.》et il perdait petit à petit son sourire alors j'ai vite fait à nouveau virevolter des fleurs au dessus de sa tête. C'est là que tu as tout faux, Hoseok. 《Pourquoi donc ?》Allonge toi et tu verras.

Perplexe, c'était le mot qui le définissait à l'instant mais il s'exécuta. Il s'allongea de tout son long dans le coussin de fleurs et je n'attendis pas longtemps pour m'allonger à sa suite, tout juste à côté de lui. J'avais le bras levé vers la cime des arbres qui recouvrait l'allée et lui attendait de comprendre.

Tu vois ces arbres Hoseok ? 《Bien sûr que je les vois.》Ils sont ta représentation du bonheur, n'est ce pas ? 《Oui puisqu'ils se vident peu à peu.》Sauf que tu as omis d'ajouter dans cette représentation que chaque année, ces arbres fleurissent à nouveau. Tu as omis d'ajouter que le bonheur revient toujours. Alors ne sois pas désespéré Hoseok, vendredi le bonheur ne sera plus là mais il reviendra même si tu n'y crois pas.

Je le regardais à présent. Il reniflait, il était agité de soubresauts. Et je ne comprenais pas pourquoi. Avais-je mal fait les choses ?

Pourquoi tu pleures, Hoseok ? 《Parce que c'est beau, je crois que j'ai retrouvé mon bonheur.》 Mais justement, tu devrais en sourire.《Je sais, mais il veut d'abord chasser toute la tristesse.》Alors vide bien tes réserves Hoseok, je t'attends pour qu'on soit heureux à deux.

Il riait, encore. Ça commençait déjà à marcher. Je posais ma main sur la sienne, tandis que son autre bras cachait ses yeux ravagés par les larmes. Et je souriais. Nous étions là, comme deux anarchistes de la société, plongés dans un tas de fleurs à peine éclairé par les quelques rayons du soleil couchant qui filtraient entre les arbres. Et on s'en fichait. On s'étaient endormis dans les fleurs, rattrapés par le temps, notre contrainte éternelle. Mais à notre réveil, on s'était regardés et on souriait ensemble, c'était ce qui comptait, non ?

cherry_blossom.hopeminWhere stories live. Discover now