Oubliant son défi, il baissait les yeux, examina ce qu'il n'avait encore examiné, le meurtrier. Presque nu, les muscles enserrés par sa peau tendue, sa peau tendue prête à se déchirer sous la pression des muscles fins et des os, dans une harmonie extrême... Les mains squelettiques, les longs doigts marqués par les articulations cartilagineuses comme des immenses poids, des boulets croupissant au bout des chaînes de dépressions, de creux dans cette vallée immaculée par la pâleur de l'hiver. Des ongles, de taille ridicule, qui lui inspiraient pourtant l'effroi, ils étaient grands, brandis, couche de neige sur la terre plus profonde, en osmose, d'un reflet de bordeaux sombre qui scintille dans les bouteilles de vin rouge, vieilles comme le monde.

Il chutait encore, plongeait, aspiré et envoûté par ce portrait aux nombreux paysages. Des cuisses fortes se perdant en un genou épais puis en mollets étonnamment frêles mais toniques. Enfin des pieds, des pattes. Comme les mains, des pieds énormes, comme des racines d'arbres millénaires bien ancrés, que les pires ouragans n'ont pu délogés. Pourtant, ses orteils, d'un geste frénétique se recroquevillaient, comme ne trouvant plus le fond, essayant de se raccrocher à n'importe quel sol capable de l'accueillir. Les poils vibrant dans cet excès de vivacité, le seul qu'il ait pu remarquer pour le moment. Un duvet brun tirant sur le roux lorsque la candélabre s'aventurait jusqu'à ce coin de la pièce. Des ongles entièrement noirs de terre, abîmés, de rares brins de lichen et des parcelles de feuilles d'automne craquantes, délitées dans ce capharnaüm de cuticules.

L'artisan avait plongé, l'air lui manquait à présent, il payait le prix de son observation. Il savait qu'il avait été pris à regarder le meurtrier.

Une courte échappée.

C'était assez pour le sauver. Un soubresaut, une vaguelette de vent qui vint s'échouer dans ses esgourdes. Il fut tiré vers le haut, happé. Il releva la tête, foudroyé par ce son doux, court et familier. Un simple courant d'air ? Ou un murmure des Dieux, soufflé au naufragé...

Le prisonnier ne le regardait plus. Toujours la même inclinaison du cou, même direction des orbites, qu'on devinait derrière ses paupières vibrantes. Malgré tout, le prisonnier ne le regardait plus. Cheveux hirsutes, barbe encombrante, encombrée de morceaux et d'autres de restes – de quels restes ? - attisant la curiosité perverse de l'artisan. Les joues creuses, blanches, taillées d'une tranchée sombre, abrupte. Tout n'était que souillure sur cette forêt, cette calvitie enneigée, la pureté même n'était que souillure...

L'innocence ?

Une larme. Des perles de fer meurtrissaient son visage, en de petits picotements irritants. Le goût du crime jamais ne disparaît. Il pleurait, à larmes lentes. Un type de larmes particulier, celles qui se suspendent. Celles chargeaient de vérité qui peu à peu se révèlent. Elles coulaient sur la joue de cet homme, des larmes qui réfléchissent. Qui ruissellent de plus en plus doucement, de plus en plus légères, qui perdent leur poids si lourd au fur et à mesure qu'elles dégagent une réconfortante chaleur à celui qui les a versées. Les méfaits ne sont jamais oubliés, les faits disparaissent. Les crimes sont publics, les actes de bonté sont intimes. C'est ce que ces larmes signifient.

Un homme innocent. C'était ce que voyait le ferronnier dans ce coin de pénombre, car à la vue de ces larmes, il se sentait invité à l'intimité, plus que ça, il la comprenait, en était sûr, se l'appropriait et l'apprivoisait, s'en faisait maître.

"Vous... c'est vous qui avait détruit ces barreaux ? C'est ce qui vous vaut cet emprisonnement ? Tenta d'articuler le spectateur de ce théâtre immobile."

L'innocent leva la tête vers les lèvres de son interlocuteur, attendant la réponse libératrice, puis laissa son regard glisser sur les résidus jonchant le sol.

Nouvelles-(C)ontesWhere stories live. Discover now