reconnected - c.h.

news & letter

- Calum ? Tu peux mettre les CD en rayon le temps que je compte le chiffre d'affaire ?

Je lève le pouce en l'air pour faire comprendre à mon oncle que cette tâche sera accomplie.

J'ai terminé mes études depuis un an, et je travaille maintenant au King of Music. Je vous l'accorde, le nom n'est pas terrible et je n'envie pas le manque de créativité certain de mon oncle. Mais pour rien au monde je ne donnerai mon job. Je donne des cours de guitare de temps à autre, et on bosse beaucoup avec Mali Koa, ma soeur qui a comme projet de participer à The Voice l'année prochaine. Elle utilise le studio à l'arrière du magasin pour répéter.

Il y a des jours où le magasin est plein, d'autres où on ne voyait un client que toutes les trois heures, et je pourrais m'y ennuyer à mourrir si je ne comblais pas ce vide en relisant encore et encore Disconnected. «T'es accro à ce bouquin où quoi ?» m'avait demandé mon oncle une fois. Et s'il savait.

    Si il savait qu'en réalité je n'étais pas accro à ce livre, mais à la fille qui l'a écrit. Trois ans se sont écoulés et je m'obstine à revivre tous ces moments qu'on a pu passer à deux.

Ma sœur a aussi lu le livre. C'est le nom de Cameron qui l'a frappé, alors elle a acheté son propre exemplaire, et l'a lu. Ensuite, j'ai eu le droit à une farandole d'insultes et de réprimandes. Aujourd'hui, elle me pousse à aller la voir à Boston, mais je suis encore en train d'essayer de rassembler le peu de courage que j'ai. Et ça prend du temps.

<>

    On dînait en famille ce soir là. Pour une fois que Mali n'était pas sortie en soirée avec ses copines, ma mère avait passé l'après-midi aux fourneaux pour nous préparer un repas digne d'un grand chef étoilé. Comme d'habitude, la télé marchait dans le fond de la salle à manger et mon père suivait le journal télévisé sportif, tout en écoutant des bribes de notre conversation.

- Alors Calum, tu comptes faire quoi pendant ton mois de vacances ? Me demande ma mère.

    Bonne question ! J'ai appris que Noa et Juliet partait je-ne-sais-où et que Michael rejoignait sa copine pendant quelques semaines. J'étais donc seul.

Pour toute réponse, je hausse les épaules tout en gardant le regard rivé sur mon assiette. Je continue de piocher dedans avec nonchalance.

- Pourquoi tu n'irais pas à Boston ? Demande ma sœur.

Son ton est rempli de sous-entendus, c'est pourquoi je lui lance un regard noir.

- Qu'est-ce que j'irais faire à Boston ? Je demande, feignant de ne pas comprendre.

- Je sais pas, recoller les morceaux...

    Mes parents arrêtent de manger pour tenter de saisir le sens des paroles de ma sœur. Je la détestais quand elle se mettait à fouiner dans ce qui ne la regarde pas.

- J'y réfléchirai, mais je préfère me reposer chez moi, tranquillement.

    Je termine la conversation ainsi et mes parents reprennent leur dîner normalement alors que je sens le regard hargneux de ma tendre sœur me brûler.

    Un peu plus tard, nous entamions le dessert, et elle et ma mère discutaient des derniers ragots, complètement inintéressants pour moi. Mon père les stoppa :

- Chut ! C'est le nouveau scandale sur Tiger Woods... Encore une maîtresse, c'est vraiment bête qu'un si bon joueur fasse la une pour des histoires aussi futiles, il ajouta.

    Je me retourne pour regarder la télévision. La présentatrice rassemblait ses notes, et annonça le grand titre.

- Il est regrettable d'apprendre que Tiger Woods aurait eu une nouvelle liaison extra-conjugale. La marque Nike, qui l'avait soutenue lors du premier scandale, se retire de ses sponsors, pour laisser place cependant à un nouveau soutient de la part de l'entreprise New Balance. L'attachée de presse du PDG de la boîte nous en apprend plus.

    Je manque de tomber de ma chaise lorsque l'image de la présentatrice disparaît pour laisser place à Cameron, les cheveux plus courts, lissés et une expression très sérieuse au visage. Son nom s'affiche en bas de l'écran ainsi que la mention "Attachée de presse de la marque New Balance".

    Je me tourne vers Mali Koa qui a l'air aussi surprise que moi avant de reporter toute mon attention sur la télé lorsque une voix que je reconnaîtrais entre mille s'en échappe.

- Notre marque souhaite bel et bien continuer de sponsoriser Monsieur Woods, malgré les récents événements, elle confirme. Une conférence de presse dans laquelle Mr. DeMartini s'expliquera aura lieu ce vendredi à 14 heures dans nos locaux, elle poursuit.

    Je reste abasourdi devant le visage de mon ancienne amie, et l'écoute parler de chose que je ne comprends même pas. Je pourrais l'écouter pendant des heures en fait. Une fois de plus, je sens ma soeur me dévisager, mais je l'ignore. Je ne veux perdre aucun instant de ce reportage.

    Lorsqu'elle disparaît de l'écran pour montrer le golfeur dans une de ses prestations, je me retourne enfin vers Mali, qui me fixe, un sourire entendu sur les lèvres. Un sourire qui signifie "Je le savais".

<>

    Une fois rentré chez moi, je monte directement pour chercher une feuille et un papier. Je veux renouer mes liens avec elle. La voir ce soir m'a fait me rendre compte d'une chose, elle est toujours là, dans mon esprit, encore au bout de trois ans. Et ça c'est fou, c'est inexplicable.

    Je m'assois à mon bureau, la feuille vierge devant moi, me demandant ce que j'allais pouvoir y inscrire.

    Je m'apprête à écrire une lettre à une écrivaine. Ma confiance en moi se voit réduite quand je me rends compte que c'est comme cuisiner des macaronis à un grand chef étoilé. Je n'ai pas son niveau, elle trouvera certainement ma lettre pathétique.

    Mais je refuse de débarquer à Boston comme une fleur, je veux la prévenir. Je veux qu'elle se lève chaque jour, dans le doute de savoir si c'est aujourd'hui ou non que je poserai les pieds sur son sol.

    Alors je me mets à écrire, à chiffonner, à rayer et à réécrire des lettres, encore et encore jusqu'à arriver à quelque chose d'à peu près correct.

    Demain cette lettre partira. Demain je prendrai un billet pour Boston. Et dans une semaine je serai chez elle.