Chapitre 1, Eveil

6 1 0
                                    

— Réveille-toi chéri !

Tout en le secouant, Félicia invective son époux. Ce dernier ouvre les yeux et regarde d'un air effrayé le visage de la femme. Durant un bref instant, il ne la reconnait pas.

— Lis, s'exclame-t-il. Quelle heure il est ?

— L'heure de dormir, répond-elle un peu agacée.

Jean-Marc jette un coup d'œil au radio-réveil. Celui-ci affiche trois heure quinze et il fait nuit.

— Un cauchemar ? s'enquiert-il tout penaud.

Dans la lueur blafarde de la petite lampe de chevet, la mine irritée de sa femme lui parait presque sinistre.

— A toi de me le dire, fait-elle. Tu m'as carrément frappé au visage.

— Je suis désolé chérie. Tu penses bien que ce n'était pas voulu.

— Sauf que ça surprend et ça ne met pas de bon poil, réplique-t-elle un peu trop sèchement.

— J'ai dû cauchemarder.

Jean-Marc n'a pas d'excuse à lui fournir. Il a toujours eu le sommeil agité et ce n'est pas la première fois qu'il réveille sa compagne de ses cris. C'est sans doute la première fois qu'il la frappe inconsciemment. N'étant pas violent par nature, cette idée le révolte.

— Tu peux me dire de quoi ? J'aimerai savoir avec quel monstre hideux ta main m'a confondu.

Le ton moqueur de Félicia ne laisse aucun doute sur le fait qu'elle risque de lui reprocher longtemps ce forfait. Elle est plutôt rancunière.

— Ce n'est pas très clair, prétend-il. On ne peut pas en rester là et se rendormir ? Je sens la journée de merde se profiler et je me lève dans trois heures.

— Compte sur moi pour en faire une journée de merde, lance son épouse, un étrange sourire dessiné sur les lèvres.

Elle se retourne vers son chevet et éteint la lampe avant de s'envelopper dans la couette. Ce faisant, elle rabat consciencieusement les côtés sous elle de sorte qu'elle ressemble à un cannelloni. Jean-Marc soupire en la voyant faire dans la pénombre. L'éclairage public filtre à travers les rideaux opaques, dessinant très nettement la silhouette de Lis, totalement isolée dans ce grand lit. Ils sont loin ces premiers jours où ils dormaient enlacés. Lis n'a pas attendu longtemps pour reprendre ses habitudes de célibataire. Cela n'enlève rien à leurs amour, se dit-il. Il ne peut toutefois s'empêcher de songer à ce "chacun pour soi" qui régule leurs nuitées. Ils feraient aussi bien de faire chambre à part. Sa conscience se perd peu à peu au milieu de ces idées jusqu'à ce que le vibrato criard du dernier gagnant de The Voice ne soit craché par la radio.

Ce réveil n'est guère plus agréable que le précédent dont il se souvient à peine. Par réflexe, il coupe rapidement le sifflet de ce que le commun des décérébrés télévores appelle un chanteur. Non sans regretter immédiatement la chaleur de la couette et la position horizontale, Jean-Marc quitte doucement le lit conjugal et sors tout aussi discrètement de la chambre. Hirsute, il se dirige de son seul œil ouvert vers les toilettes et y fait son affaire. Il se rend ensuite dans la cuisine pour préparer son repas.

Machinalement, il met en route tous les appareils requis pour cette opération, de la cafetière préparée la veille à la télévision, en passant par le toaster et le presse-agrume. Il pousse un large soupir de soulagement quand il peut enfin s'asseoir et s'abrutir dans l'absorption de son petit-déjeuner et de la culture audiovisuelle matinale. Distraitement, il écoute le présentateur de LCI débiter les faits divers de la nuit. Même le décès brutal d'un délinquant, dans une rue à deux pas de chez lui, retient à peine son attention.

Khuméra (titre provisoire)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant