Chapitre 5

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L’après-midi se déroule sans incident notoire, mais avec une lenteur insupportable.

C'est tout à fait normal, nous avons français avec le prof le plus mou qui puisse exister. Il nous explique comment son cours se déroulera, mais peu importe, je sais déjà que ce sera barbant.

Au bout de ce qui m’a semblé être une attente interminable, la sonnerie de fin des cours retentit enfin. Je range mes affaires et prends le chemin jusqu’à ma maison sans tarder.

Je suis épuisée alors que les cours ont à peine repris, ce qui n’est pas dans mes habitudes. Les nouvelles voix que je ne parviens pas à éviter, Théo qui me laisse tomber après douze belles années d’amitié, mon malaise, et puis ce garçon, Esteban, qui me prend la tête. Sans compter mes problèmes familiaux ainsi que tous les ressentiments normaux d’une jeune fille de mon âge. C'est trop pour moi, vraiment trop.

Alors que tout à l'heure je me sentais faible, je sens la colère, la haine et la rage monter. Pourquoi toujours moi ?! J'ai envie de tout détruire, de tout réduire à néant.

Je n’ai plus de parents. Plus d'amis. Plus de vie.

Mon poing frappe de toutes ses forces dans la porte. J’en ai marre. Je ne me retiens plus. Les coups partent, ma maison avec. Je casse tout. J'écrase, je piétine, je lance. Je ne veux plus rien voir dans cette maison qui me rappelle ma vie. J'arrache tout, je déchire tout. Et ça me soulage. J'occupe mon esprit. Je ne pense plus à mes problèmes. Juste détruire. C'est mon seul et unique but.

Je vide toutes les émotions qui sont en moi, prises au piège depuis bien trop longtemps. Pour la première fois de ma vie je me sens... vivante. Mes larmes coulent malgré moi. Et puis je tombe, haletante. J'ai tout donné, tout vidé. Je suis soulagée.

Puis je réalise un truc.

—  Eliott ? hasardé-je.

Je n’entends aucune réponse.
Merde, c’est bien ce que je pensais. Je l'ai oublié. Même ça j'en suis incapable. T'es minable Mia, tu ne sais pas t'occuper de ton frère. Il comptait sur toi. Il n'avait plus que toi. Tu n'avais pas le droit de lui faire ça. Tu n'es vraiment qu'une idiote.

Je rassemble le peu d'énergie qu'il me reste et je m'élance dehors. Je cours vers l'école. Moi qui, d’ordinaire, suis nulle en sport, avance à une vitesse folle sans jamais ralentir. Un peu comme un sprint d'endurance, vous voyez ?

J’arrive enfin devant le portail, malheureusement clos. Le désespoir me donne assez d'énergie pour hurler. Oui je hurle. Je hurle ma souffrance à pleins poumons. Je fais sortir tout ce qu'il me reste. Tout. Absolument tout. Je me fiche éperdument que les habitants me prennent pour une demeurée. C’est la chance des gens qui n’ont plus rien à perdre, ne plus faire attention au regard des autres.

Je me laisse glisser à terre, devant le portail. J'ai honte de moi. Il fait nuit et je n'ai pas la moindre idée du lieu où se trouve mon frère. Peut-être qu'il est chez un copain. Peut-être qu'il s'est fait enlever. Voire pire...tué. Non ce n’est pas possible. Mon frère ne se laisserait jamais faire. Non, jamais. Il se battrait jusqu'au bout. Mais Mia bordel ! Il n'a que quatre ans ! Oh non ce n’est pas possible, qu'est-ce que j'ai fait ?! Je suis un monstre, oui c'est ça, un horrible monstre. Je suis indigne d'être grande-sœur.

J'ai envie de mourir, là, tout de suite. Certainement pas Mia. Tu ne vas pas abandonner ton frère une deuxième fois. Tu dois le retrouver. Tu n’as pas le droit de le faire souffrir, c’est intolérable.

Mais je n'ai plus la force de bouger, même pas le petit doigt...

Je regarde autour de moi, au cas où un ivrogne, ou toute autre personne inconsciente ou mal intentionnée, passerait par là.

Il n'y a personne, je peux me reposer. Juste un peu.

Attendez, si. Là, dans la pénombre. Quelqu'un qui se cache. Des cheveux longs. Une femme. Un couteau à la main.

Et puis cette voix... Je la reconnaitrais entre mille.

Elle m'a vue. Elle a vu que je la regardais, un sourire malsain illumine désormais son visage. On se fixe, aucune de nous deux n'osant bouger. C'est l'instant où la proie a repéré son chasseur mais qu'elle n'a pas encore eu le réflexe de s'enfuir.
Mais j'ai un avantage sur elle, je saurai quand elle voudra attaquer. J'aurai quelques secondes d'avance. À peine quelques secondes. Mais c'est déjà ça. Je...

Maintenant Mia !

J'ai tellement peur que je saute sur mes deux pieds. L'instinct animal reprend le dessus. Je cours à en perdre haleine. Je ne sais pas avec quelle énergie j'arrive à avancer. Mais je m’en fiche. Courir. Je ne sais pas où je vais, ni même où aller. Juste courir. C'est tout ce qui m'importe pour le moment. Je trébuche, tombe, et me relève aussitôt. Les quelques secondes que j'ai gagnées m'ont été vitales. Je n’ai plus le droit à l'erreur.

Une course poursuite en plein cœur de Paris. J'ai l'impression d'être dans un cauchemar. Réveille-toi Mia je t’en conjure ! Dans ma course effrénée, je parviens à tirer sur mes cheveux pour vérifier. Non je suis bien éveillée.

J'entends son souffle se rapprocher. De plus en plus près. Je rentre dans un parc, traverse les fourrés, enjambe les troncs d'arbres, sprinte. Elle respire fort et de manière saccadée, j’en déduis qu’elle est essoufflée.

Problème ? Moi aussi.

J'ai les poumons prêts à exploser, le cœur qui bat à un rythme infernal. Mon cerveau n'est plus correctement oxygéné, ma vue se trouble. J'ai les genoux en sang, les cheveux en pagaille. Je n'ai plus aucune force. Mais je ne perdrai pas. C'est ma vie qui est en jeu. Et celle d'Eliott.

J'accélère encore et me dirige vers un bosquet épineux. Heureusement pour moi il est grand et donne sur une espèce de forêt. J'hésite à peine une seconde et  me jette dedans.

Je suis écorchée un peu partout, je saigne, j'ai mal. Tant pis. Je rampe dans la boue et je me cache derrière un arbre.

Au bout de quelques minutes qui me paraissent durer des heures, je jette un rapide coup d’œil derrière moi. Elle a disparu.

Je me réveille aux premiers rayons du soleil au pied d'un arbre. Je  reste encore une heure à me reposer. Je suis mal en point mais vivante. C'est trop beau pour être vrai. J'ai vu la mort de si près. Vous savez, on dit souvent que l'on voit défiler toute sa vie avant de mourir, les moments heureux particulièrement. Et bien ce n’est pas vrai. Du moins pas pour moi, pas dans ces conditions. Tout ce que j'avais en tête c'était fuir, juste fuir.

Au moins je suis sûre d'une chose maintenant, cette femme ne me veut pas du bien. Je dirais même qu'elle me veut du mal, reste à savoir pourquoi. Elle n'a pas pu comprendre que j'étais capable de lire dans ses pensées. Enfin, c'est ce que j'espère.

J'essaie de me lever. Mission impossible. C'est seulement maintenant que je constate mon état, et l'ampleur des dégâts. J'ai la peau des deux genoux complétement arrachée, une cheville foulée et violacée, des égratignures un peu partout, y compris sur mon visage. J'ai les habits déchiquetés, de la boue mélangée à du sang séché sur tout le corps et des brindilles dans les cheveux...

Je dois me laver... Non. D'abord aller chercher Eliott, ensuite on verra.

J'attrape une branche qui a l’air solide et me hisse sur mes deux jambes. Ça fait mal mais je peux marcher.

Je me dirige donc vers le commissariat parce que c'est toujours ce qu'ils font dans les films et que, pour l'instant, je ne sais pas vraiment quoi faire d'autre.
   
Et c'est là que je les vois, des élèves de mon lycée. C’est un groupe de trois filles et deux garçons. J'essaie de me cacher mais c'est trop tard, les filles m'ont vue. Et elles s'esclaffent en me montrant du doigt.

Un des gars tourne la tête dans ma direction. Il me semble reconnaître ses traits. Je n'y vois pas bien, je ne suis pas sûre... Je me concentre un peu plus. Si.

C'est bien Esteban.

Je sais, c'est tout.Wo Geschichten leben. Entdecke jetzt