A la recherche des Amazones

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« C'est justement pour ça que je m'adresse à vous. On m'a dit que vous étiez la seule personne qui pourrait me faire passer. Et vous avez entendu Timour, il affirme que vous aimez prendre des risques»

« J'aime prendre des risques quand il ne s'agît que de moi-même » répondit l'homme avec un petit sourire. « De toute façon, maintenant je n'ai plus de contacts là-bas. Mais si vous voulez, je peux vous emmener en Ingoushétie voisine. Vous pourriez visiter les camps des réfugiés juste à côté de la frontière tchétchène, et là-bas aussi c'est suffisamment risqué... »

«Bon, je ne cherche pas forcément le risque, moi... Mais comment allez-vous arranger le passage entre votre pays et l'Ingoushétie ? Personne n'a voulu m'aider la dernière fois quand j'étais ici. Il paraît que c'est la frontière la plus difficile à franchir.»

« C'est mon problème. Laissez-moi faire. »

« Quand partira-t-on alors? »

« Donnez-moi quelques jours pour préparer tout cela. Et en attendant, nous pouvons aller voir mes chevaux demain. Vous savez monter ? »

Monter ? Comment répondre à cette question ? Comment lui expliquer mon problème? Cette relation si compliquée entre moi et les chevaux ? Dire en deux mots si je sais monter ou non... Il est là debout, prêt de la porte, prêt à partir, et moi, avec ma longue histoire, impossible à résumer d'un simple oui ou non.

« Est-ce indispensable ? » demandai-je enfin dans une voix étranglée.

« Eh bien, la plupart de mon troupeau se trouve en ce moment sur les hauts plateaux. Et aucune voiture ne peut aller là-bas. Le seul moyen, c'est le cheval. Je viens vous chercher à dix heures demain matin.»

Pour ce montagnard, c'était aussi simple que cela.  Il n'avait même pas remarqué, en partant, que j'étais comme traversée, pendant quelques secondes, par un courant électrique de vingt mille voltes. L'idée de monter à cheval suffisait déjà à me rendre malade, mais il faudrait en plus grimper le long d'une piste dont on m'avait déjà résumée l'horreur:

« Un sentier étroit impressionnant » disait Timour en montrant les photos. « On suit des falaises descendant à pique dans des ravins profonds, en plus avec des virages abruptes où le cheval a à peine la place de mettre ses quatre pattes pour tourner. Tout cela, sur des pierres polies qui grimpent comme un escalier ».

Timour a téléphoné le soir :

« Alors, vous vous êtes mis d'accord avec Rouslan ? »

« Oui, mais il veut m'emmener sur le haut plateau ».

« Ah, c'est très bien. Vous allez pouvoir mieux vous rendre compte de son travail là-haut. Mettez un pantalon bien épais pour ne pas trop souffrir sur le cheval ».

Je souffrais d'avance. Je savais que je n'allais pas pouvoir dormir ce soir : ce serait comme la dernière nuit d'un condamné à mort. J'aurais bien moins peur d'aller en Tchétchénie sous les bombes que d'être obligée à monter à cheval. Je ne voulais même plus voir ces animaux. Entendre leur hennissement ou le bruit de leurs sabots, même de loin, ou sentir leur présence, même à dix kilomètres, suffisait à me rendre malade, à me donner des palpitations, à me remplir d'une profonde angoisse.

Pourtant, on pourrait dire pour toutes les femmes de ma famille des dignes descendantes des Amazones. Aussi bien ma mère que ma grande mère étaient d'excellentes cavalières, comme il se doit chez toute Tcherkesse de noble souche.  D'ailleurs, les Amazones, cette légende, n'avait-elle pas vu le jour sur les terres du Caucase dont étaient originaires mes aïeuls ? Et c'est moi-même qui avais incité ma fille à perpétuer la tradition. Ce qu'elle fait avec un grand bonheur.  

VAGABONDAGES DANS LE CAUCASE : Carnets de routeWhere stories live. Discover now