A la recherche des Amazones

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  "Il y a deux personnes qui veulent vous voir.»

Le réceptionniste au bout du fil, a hésité quelques secondes avant d'ajouter :

« Ils ont apporté une valise pour vous. »

« Dites-leur d'attendre. Je descends tout de suite ».

J'allais pouvoir enfin récupérer mes affaires enfermées dans l'entrepôt de l'aéroport depuis la veille. Le petit avion russe qui reliait Istanbul à Naltchik deux fois par semaine arrivait tard dans la nuit et les douaniers trop fatigués pour procéder aux contrôles faisaient enfermer purement et simplement les bagages accompagnés dans les hangars jusqu'au lendemain. Encore heureux que ce ne soient que les bagages et non pas les passagers.

J'étais donc venue à l'hôtel juste avec mon petit sac à dos, qui contenait quelques livres, un appareil photo et mon ordinateur portable, même pas mes affaires de toilette. Le lendemain matin, en me réveillant, je n'avais rien pour me changer ni même pour me coiffer. Juste l'un de ces vieux t-shirt et un pantalon usé que je réserve d'habitude aux voyages dans de petits YAKS soviétiques qui volent encore on ne sait par quel miracle. Au bout du trajet, mes loques avaient encore plus triste mine et ressemblaient à celles d'un clochard. Dans cet état, pas question de penser à mes rendez-vous avec des personnalités importantes, d'autant plus que les gens du pays aimaient bien être coquets. J'avais donc été obligée d'annuler mon programme de la journée dans l'attente de récupérer mes affaires.

Deux hommes attendaient dans le lobby. L'un était Timour qui m'avait accueillie à l'aéroport la veille. Il était accompagné d'un homme solidement bâti qui se tenait un peu à l'écart, avec ma valise posé à côté.

« Le voilà » dit Timour en pointant vers lui : « je vous ai amené l'homme que vous cherchiez depuis l'année dernière.  Il a votre valise en plus, il l'a récupéré en un temps record ».

« C'est donc vous le fameux Rouslan » dis-je en lui serrant la main.

Il avait une grosse main rugueuse de paysan, mais son allure sauvage n'avait rien d'un paysan paisible lié à la terre. Ses lèvres étaient couvertes de gerçures. Sur son visage cuivré, on pouvait lire les effets du vent, les brûlures du soleil et du froid des hauts plateaux. Comme chez la plupart des montagnards vivant en altitude, ses pommettes hautes étaient pourpres, avec des reflets bleuis.

« Je ne sais pas si je suis fameux, mais je suis bien Rouslan » répondit-il avec un petit sourire.

« Rousslan aime prendre des risques » interrompit Timour, « je lui ai déjà expliqué un peu ce que vous vouliez, mais vous pouvez en donner un peu plus de détails et vous mettre d'accord sur le reste. Et puisque vous parlez russe, vous n'aurez pas besoin de mes services d'interprète. Je vais donc vous demander la permission d'aller m'occuper d'une affaire pressante.»

« Vous pouvez y aller, nous allons nous débrouiller. »

Malgré sa grande carrure imposante, Rouslan avait l'air quelque peu timide. Après avoir remonté ma valise dans la chambre, il a demandé, debout, près de la porte, prêt à partir :

« Que voulez-vous de moi exactement ? »

« On vous a sûrement dit que je suis journaliste. Et je suis venue faire ici deux choses très différentes. Primo, je veux aller en Tchétchénie. Secundo, je voudrais préparer un documentaire pour la télé sur les femmes jockeys de votre pays ... "

"J'ai en effet quelques jeunes filles qui travaillent mes chevaux. Ce sera sans problème. Mais en ce qui concerne la Tchétchénie, la situation est très difficile maintenant. Ce n'est plus comme pendant la première guerre quand la presse avait libre accès. »

VAGABONDAGES DANS LE CAUCASE : Carnets de routeWhere stories live. Discover now