Chez les "Terroristes" de Pankisi

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« Tu as peur ? »

Nous sommes au milieu d'un paysage bucolique. La petite route suit la vallée bordée de collines vertes. Tout de suite derrière les collines, la chaîne du Caucase monte comme une muraille infranchissable. Tout est baigné d'une lumière douce qui donne à la vallée une vision féerique. A part le chant des oiseaux, le silence et le calme sont partout. Même le bruit du moteur s'estompe dans la solitude paisible.

La question, presque incongrue, est tout de même inquiétante. Je sais que le danger est réel, mais peut-être entendrai-je une réponse rassurante à ma question:

« Faut-il avoir peur ? »

Mon guide me jette un regard furtif en souriant :

« Es-tu croyante ? » demande-t-il.

Et il poursuit sans attendre ma réponse :

« La foi, c'est la liberté !.. Les Russes pourraient commencer leurs bombardements à n'importe quel moment maintenant. Tu voudrais peut-être courir vers les champs pour t'abriter, mais si le destin a décidé que ton dernier moment est venu, la mort te trouverait même au milieu de ces champs. Un petit éclat dans la tête suffirait. »

Il résume ainsi, en deux phrases, l'esprit qui anime ses compatriotes tchétchènes dans leur résistance têtue contre un ennemi équipé de l'un des armements les plus sophistiqués du monde et bien supérieur en nombre.

« Tout le monde doit mourir un jour » poursuit l'homme au volant, « on mourra ici ou là, qu'on ait peur ou non. Peut-être dans ton lit chez toi, ou debout au combat. Oui, l'armée russe arrive avec ses tanks et ses hélicoptères, mais nous, on a quelque chose de bien plus important : on a une âme !.. Et cette âme est bien plus forte que toutes leurs armes, leurs bombes et leur artillerie. »

Des hommes qui résistent aux hélicos, aux avions, aux missiles Grads avec...leurs âmes ! Ils n'ont que des Kalachnikovs et des grenades contre leur ennemi. Mais ils ont une foi inébranlable. Et ils sont surtout « libres »... Libres de la peur.

Au fur et à mesure qu'on avance dans les gorges, le silence s'épaissit. Difficile de penser à la mort dans ce paysage idyllique caressé par la chaleur douce de fin d'été. Mais la mort est présente de tout son poids. Elle est juste à côté, dans la Tchétchénie voisine. La frontière n'est plus très loin. Le bilan de cette deuxième guerre n'a pas encore été établi, mais on avance des chiffres supérieurs à 100 000 morts. Presque chaque centimètre carré de ce petit pays est arrosé de sang humain. Nous savons que pas très loin d'ici, les affrontements se poursuivent avec toute leur violence. L'armée russe s'efforce de faucher tout ce qui reste encore debout. Et elle cherche à étendre l'enfer vers ici, dans la vallée de Pankisi où sont réfugiés les rescapés. Les rescapés encore poursuivis par la mort...

L'homme au volant fait des zigzags pour éviter les nids de poule. Je le connais depuis à peine trois heures. Je ne suis même pas sûre qu'il s'agit bien de celui dont on m'a donné le prénom. Tout a été arrangé par des coups de fil, depuis deux mille kilomètres d'ici, d'une ville près de Moscou, en passant par plusieurs intermédiaires. Et puis une fois arrivée à Tbilissi, j'ai appelé le numéro qu'on m'a donné pour fixer le rendez-vous final avec cet inconnu. On s'est rencontré devant une station d'essence près de la sortie de la ville. Il m'a identifiée grâce à la description que je lui avais donné au téléphone des vêtements que j'allais porter: jupe longue bleue ciel et... foulard rouge ! Pas très discret, mais le seul déguisement que j'ai pu dénicher dans la garde-robe de l'appartement où j'étais logée, en l'absence de ses propriétaires. De son côté à lui, aucun signalement communiqué au téléphone. Je suis donc montée dans la première voiture qui s'est arrêtée devant moi.

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