Chapitre 51 : Raphaëlle

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Pars. Pars d'ici.

Le sol est froid. J'ai froid.

Ne sors jamais d'ici.

Ma peau est gelée, et j'ai l'impression que ma poitrine est prise dans un étau. J'ai envie de crier, de défigurer tout ce qu'il y a autour de moi. Mais les visages que je vois sont comme des spectres. Des visages sans regard, des visages inconnus, anonymes qui me hurlent des mots incompréhensibles. Il fait noir, un noir oppressant et effrayant. Je suis enfermée.

Ils n'avaient pas besoin de toi.

Ils auraient survécu sans toi.

Regarde toi. Pitoyable.

Ils m'ont enfermée.

Inutile.

Folle.

Elle les a tous envoyés se faire tuer.

Non !

Egoïste.

Tu ne vaux pas mieux que les autres.

Ce sont eux qui n'ont rien compris. Ils ne voient pas ce qui va arriver. Ils ne voient rien. Ils se trompent, tous, un par un. Ce sont eux les fous. J'essaie de me lever, mais m'écroule aussitôt, misérablement. Je frappe le sol de toutes mes forces, sans m'arrêter, sans respirer. Mes phalanges craquent, saignent. L'odeur du sang me fait hurler. Mes ongles se fissurent et s'arrachent. Je ne pourrais pas sortir d'ici. Mais je continue. La cellule s'éclaire lentement. La lumière qui rampe sur le sol vaporeux est d'un blanc presque bleu, glaciale. Elle se répand telle une vague de glace qui fige tout derrière elle. A l'instant où elle me touche, le sol s'ouvre brusquement sous moi et l'obscurité m'engloutit alors que je hurle à m'en briser la voix.

Mes yeux s'ouvrent en sursaut. Je suis pétrifiée, recouverte de sueur. J'ai le souffle court et le cœur sur le point d'exploser. C'était un rêve. Un simple rêve. Je ne crains rien. Ce n'était pas réel. Je suis, je suis. Où est-ce que je suis? Ah oui,  sur Terre. Non. Pas la Terre. On dirait la Terre. Le sol, le ciel, l'air, le froid. C'est un piège, un mensonge de plus. C'est Noham. Je suis sur Noham.

Quelque chose me tombe sur le visage. Des gouttes. Je suis de retour dans la grotte, et je baigne dans le sang des carcasses prises au piège, juste au dessus de moi. Si je regarde en haut je le verrais. Je ne veux pas le voir. Je ne veux plus jamais voir du sang. Les gouttes continuent de tomber. Je retire la couverture étouffante et la jette loin de moi. Je cours. Les hautes herbes humides fouettent mes mollets et ma taille. Elles s'emmêlent autour de mes chevilles et les lacèrent. Elles s'arrachent dans des crissements affreux. Les mêmes crissements que mes doigts faisaient lorsqu'ils se brisaient un à un dans mon rêve. Les mêmes crissements qui résonnent en boucle dans mes oreilles bourdonnantes. Soudain je m'arrête. Essoufflée, paniquée, perdue. Au milieu de nul part. Le camp est derrière moi. Il fait nuit. Je suis en plein milieu d'une plaine, sous un ciel complètement opaque. Il pleut. C'est comme ça qu'on appelle l'eau qui vient s'écraser sur le sol. La pluie.

Je m'assoie en tailleur dans les herbes humides, et maintenant que l'angoisse du rêve redescend, je me mets à frissonner. Je ne suis pas encore sûre que ce soit vraiment l'air frais et la pluie sur ma peau fiévreuse qui me fassent frissonner, mais j'essaie de m'en persuader. Pour ne pas admettre que ce rêve m'a rendu folle. Jamais un rêve n'avait été aussi réel. Jamais.

Je n'arrive pas à contrôler le tremblement de mes mains, ni le claquement de mes dents. Je suis trempée. Bientôt je vais pouvoir me noyer dans mes propres vêtements, tellement ils sont imbibés de pluie. Je réalise qu'il pleut à verse. On doit lever le camp. Partir de là et retourner dans les glaciers. Les plaines gelées sans fin, où il ne se passe rien.

The Breach (Sous contrat d'édition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant