The Breach (Sous contrat d'édition)

Chapitre 18 : Aleksei

Emma, dans un élan de rage, balance violemment son arc. Il vient se cogner contre un arbre au tronc épais, mais ne se casse pas. Tyler le ramasse, tentant de garder son calme. Paély est adossée à un arbre, désespérée. Cela fait quatre jours que nous errons dans la forêt en hurlant les prénoms de Dean, Marilyn et Jenny. En vain. Ils sont introuvables. Et nous sommes épuisés. Nous avons pris énormément de retard et le retour risque de s'avérer encore plus long que l'aller : nous ne savons pas vraiment où nous sommes. Nous nous asseyons pour reposer un peu nos jambes et nos esprits. Au moins, nous avons trouvé la source en les cherchant. Et les bleus ont pu cartographier la forêt de manière encore plus précise, mais pas assez pour que nous sachions exactement notre position sur Noham. 

J'allume la carte hologramme de mon bracelet et y jette un coup d'œil : nous sommes très loin de l'Almeida, à environ six jours de marche, mais vu notre état général, on peut bien en prévoir sept. Plus d'une semaine. Nous n'arriverons jamais à temps avant la tombée de la nuit. Nous perdons du temps. Il va faire froid, qui sait quels phénomènes météorologiques s'abattront sur le satellite pendant les cinq jours de nuit ? Il nous faut rentrer à temps avant que la température ne baisse trop ou qu'une autre tempête nous menace. Nous ne sommes à l'abri de rien ni personne. Je ne fais plus confiance à ma bonne étoile. Emma tape du poing dans un arbre. L'écorce s'effrite.

- Putain de bordel de merde !

Je me lève, m'approche d'elle et bloque ses poings dans les miens, immenses, pour l'empêcher d'abattre l'arbre à l'aide seule de ses mains.

- Lâche-moi ! M'ordonne-t-elle, complètement hors d'elle.

Moi qui l'avais toujours connue calme, elle révèle là une facette de sa personnalité qu'il me faut surveiller. Je ne veux pas risquer de perdre qui que ce soit d'autre. Elle est un bon élément, particulièrement douée en survie. Si toute la mission échoue, elle est un espoir, un esprit un peu sauvage qui nous guidera dans la jungle. J'en suis certain. Je le vois dans ses yeux kakis. Elle me donne un coup de pied dans le tibia pour me forcer à libérer ses poings. Mais ça ne fonctionne pas.

- Calme-toi, d'abord, je lui conseille.

- Trois personnes ! Trois putain de personnes ont disparu, et on est pas foutus de les retrouver ! J'ai franchement pas envie de me calmer.

Je me tourne vers les autres :

- Écoutez, on va devoir arrêter les recherches.

Des murmures d'indignation s'élèvent, et deviennent de plus en plus fort. Certains commencent même à hurler. Emma m'incendie du regard.

- Laissez-moi m'exprimer, je reprends, on est tous fatigués par les évènements, et on se trouve à environ sept jours de marche de l'Almeida.

Ils se taisent enfin, calculant combien de jours il reste avant la semaine de nuit. Six jours. Il ne reste que six jours. Quand ils comprennent, ils écarquillent les yeux, froncent les sourcils ou se lèvent, prêts à partir pour sauver leur peau. C'est égoïste, quelque part, mais c'est la dure loi de la jungle. Sacrifier une personne pour en sauver d'autres. Dans notre cas, ils sont trois, et nous sommes dix. Nous ne pouvons plus nous permettre de perdre du temps à les rechercher.

- Il faut partir, et maintenant, si on ne veut pas être piégés par la nuit.

Tout le monde se lève. Tyler rend son arc à Emma, qui semble essayer de contrôler sa colère. Elle prend une flèche dans son carquois et la place sur le repose-flèche, prête à être tirée. Nous nous dirigeons vers le Sud. Emma en tête de file, sur la défense, et moi fermant la marche, regardant toujours derrière. Elle marche les jambes légèrement pliées, à l'affut de la moindre menace. Comme si elle avait toujours vécu ici. Elle s'est adaptée plus vite que n'importe qui sur Noham. C'est le point que nous avons le moins travaillé pendant les entraînements. Nous sommes tous des machines à tuer ou des scientifiques, mais nous n'avons jamais vraiment pris le temps de nous laisser aller à nos sensations, de réellement nous préparer à changer d'environnement. Peut-être que c'est ça, son secret. Peut-être qu'elle est la seule ayant pris le temps de se préparer à vivre sur Noham. Oui, c'est ça. Nous avons été entraînés à tuer, à éliminer toute menace, à délimiter notre territoire sur Noham. Mais nous n'avons pas été entraînés à y vivre. Y vivre. Tout simplement. Non, il n'y a toujours eu que de la violence pour tous et des tubes à essai pour certains. Ils nous poussaient à bout. L'humanité dans ses retranchements. Aucun d'entre nous ne pourra oublier ce qu'il a traversé pendant cinq ans. C'est ce qui nous a rendu plus forts, ce qui nous a fait vieillir plus vite que n'importe qui. Je ne sais pas si, au final, c'est une bonne chose, mais c'est comme ça. C'est notre vie, et ça fera partie de notre histoire. C'est ce que l'on racontera à nos enfants, nos petits enfants, avant de mourir, qui eux mêmes le raconteront à leurs enfants...