Chapitre 28: Raphaëlle

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Pourquoi on marche déjà? Ah oui, pour rester en vie. Pour rejoindre les autres.

Une pensée unique noie toutes les autres: marche. Marche. Marche encore. Toujours, marche et ne t'arrête pas. Si tu le peux encore, marche.

Je veux sortir de cet enfer.

J'ai cessé de compter les heures et les jours. Même la faim a disparue. C'est sans doute un des effets de la fièvre. Je jette un œil à mon bracelet : 40.5°; je continue d'augmenter, mais je ne veux surtout pas qu'ils s'en rendent compte. Ça nous ferait perdre un temps précieux, je refuse de devenir le boulet qui les retardera.

Ils marchent tous devant moi, dans un silence macabre depuis le levé du jour. Nous avons dormi les uns contre les autres avec des tours de garde de deux heures chacun. Mais je n'ai pas pu dormir à cause de la fièvre, ni la nuit précédente, ni depuis que nous avons pris la route. Dès que je ferme les yeux, je revois Carter s'effondrer sur moi, les yeux vides et la bouche béante. Je me réveille en sueur et avec un peu plus de fièvre que quand je me suis assoupi. J'ai aussi commencé à tousser cette nuit, et ce matin je voyais trouble.

Je recommence à  tousser sèchement et de fines particules écarlates viennent consteller ma visière. De pire en pire. Putain de virus. D'abord Warren, ensuite moi. Quelle ironie, moi qui l'ai sacrifié pour ne pas nous retarder, c'est à mon tour de devenir la plus faible. Exactement ce que je ne voulais pas être, et me voilà, à la place de celui que j'ai ordonné de tuer. Putain de virus.

Je m'effondre dans la neige. Ma tête tourne violemment et mes oreilles bourdonnent si fort que même le bruits de mon front qui cogne la visière me paraît lointain. Relève toi bordel! Je me redresse difficilement sur les deux pieds, sonnée, et reprends tant bien que mal le périple.

Mais c'est encore pire qu'avant. Le sol et le ciel s'inversent trop rapidement pour que j'arrive à distinguer sur lequel je marche. J'ai l'impression que mon crâne pèse plus lourd que le monde entier. Mon casque m'opprime plus qu'il ne protège du froid. C'est à cause de la fièvre, ça va passer. Mais la température monte, j'ai chaud, trop chaud, de la buée apparaît sur ma visière. Des goûtes de sueur coulent sur le bout de mon nez et viennent s'écraser sur mes lèvres. Je commence à tousser, non, suffoquer. De l'air, je veux de l'air. Plus rien ne parvient à traverser mon esprit, à part la pensée alarmante que je dois me débarrasser de ce maudit casque. Je parviens vaguement à défaire les lanières du casque et à le jeter loin de moi. Il atterrit à mes pieds.

Aussitôt, le vent me frappe de plein fouet et me refroidi. Je revis. La fièvre s'apaise et l'air retrouve le chemin jusqu'à mes poumons. J'inspire pleinement, et expire longuement. Je respire comme si c'était la première fois. L'air gonfle ma poitrine et me redonne la force de poser un pied devant moi.

Mais à peine ai-je esquissé un pas qu'une douleur insoutenable me traverse toute entière. Je m'effondre à nouveau, le corps atrophié par la douleur. Je n'arrive plus à respirer, ma poitrine se déchire, ma tête explose et mes mains se figent. Je me transforme en statue, prisonnière dans mon propre corps. Bouger un bras me demande un effort surhumain, et m'appuyer sur un coude est encore pire.

Je vais crever, ici.

Alors je sors lentement un shoot de MS4, un sédatif assez chargé pour endormir les symptômes, et faire comme si j'allais bien pendant un temps. La seringue se vide et son contenu bleuté se répand délicieusement dans mes veines.

Je n'en ai jamais pris, et d'ailleurs cette seringue n'était à utiliser qu'en cas d'urgence. Parce que le MS4 est dangereux. Mais c'est ça ou finir comme Warren, alors j'ai vite fait mon choix.

Je crache un peu de liquide écarlate sur la neige verglacée. Je ne prête même plus attention au sang. J'en ai trop vu.

Mon corps ne m'obéit plus, mes yeux se ferment tous seuls, et je m'affaisse dans la neige. J'ai encore du mal à respirer, mais dieu merci, le MS4 commence à faire effet. Lentement, mes membres s'alourdissent et la douleur disparaît.

Je me laisse aller sur le dos, les muscles des bras complètement relâchés. J'ai la sensation que chacun pèse une tonne. Mais rapidement, cette sensation s'évapore et très vite, elle est remplacée par celle complètement irréelle, que je flotte. Il n'y a plus de sol, plus de neige, plus de froid. Juste mon corps allongé sous le ciel translucide. Le monde est au ralentit et comme enveloppé par un filtre flou.

Soudain je réalise que les autres Digamma ne sont pas au courant que nous les suivons. Je dois les prévenir qu'ils ne sont pas seuls. Qu'il reste Eden, Jacy et Dante.

Appeler Sergueï.

-Sergueï? Tu m'entends?

Ma propre voix me fait peur. Je dois vraiment être dans un sale état, mais tant pis je ne sens déjà plus rien.

-Raphaëlle! Vous, vous êtes vivants?

On dirait qu'il parle à un fantôme.

-En parti, j'ai peu de temps. Promet moi de faire ce que je te dis.

-Je t'écoute. Tu as ma parole.

-Lorsque les Alpha vous trouveront, dit à leur leader de venir chercher Eden, Jacy et Dante. Nous sommes derrière vous, tu devrais pouvoir trouver nos balises. Tu dois absolument le faire tu m'entends.

-Je le ferais. Accrochez vous, on va venir vous chercher. On vous laissera pas tomber.

-C'est contraire aux ordres du Valkyrie, alors garde le pour toi jusqu'à ce tu que puisses parler à leur leader.

Je déglutit difficilement, cherchant des mots qui franchissent à peine mes lèvres. Ma voix est rauque, et ma gorge s'enflamme à chaque fois que j'essaie de faire un son.

-Appelle Eden dans cinq heures et répète lui ça. Donne lui vos coordonnées, et garde tout le temps un contact avec lui.

-D'accord, mais, qu'est qu'il t'arrive?

-Rien. Fais le.

Il ne dit rien pendant un moment. Je sais qu'il hésite et qu'il réfléchit. Parce qu'il à compris.

-Sergueï, c'est un ordre. C'est non discutable.

-Je le ferais.

-Merci.

Ce que je dis n'est plus qu'un murmure faiblard, presque imperceptible. Je coupe la communication, apaisée de savoir qu'ils viendront les chercher. J'ai rempli mon rôle du mieux que j'ai pu, un grand sentiment de soulagement m'envahit. C'est fini. Ils vont s'en sortir, c'est tout ce qui compte.

Le MS4 s'est maintenant diffusé jusque dans mon cerveau et mon système nerveux.

Déjà, ma respiration est lourde, plus lente. Mais la douleur qui s'élance encore dans ma tête m'aide à réaliser que je suis toujours consciente. Je ne suis pas naïve, j'ai compris que cela n'allait pas durer.

C'est comme ça que doit se terminer. C'est mieux ainsi, je ne leur serais plus d'aucune utilité une fois avec  les Alpha. A quoi je m'attendais encore? J'ai passé ma vie à l'écart des autres, c'est normale que je la termine aussi.

Je n'arrive plus à bouger mes doigts, je crois qu'ils ont commencé à geler. Le vent glacé attaque mon visage, à commencer par mes lèvres blessées jusqu'au sang. Je ne ressens même plus le froid mordre ma peau et la figer un peu plus chaque seconde.

La fatigue grandit, elle m'enveloppe toute entière, me coupe de tout ce qui m'entoure, m'isole, m'enferme. Et lentement, elle referme ses bras sur moi.

Alors sans résister plus longtemps, je me laisse tomber dans le sommeil sans rêves qu'elle m'offre.





















The Breach (Sous contrat d'édition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant