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— Tu es devenu complètement fou ! lança Cara. Tu ne peux pas parler sérieusement !
— Je suis on ne peut plus sérieux.
— Pourquoi ? s'écria-t-elle en humectant nerveusement ses lèvres trop sèches. Et pourquoi moi ?
— Comme je te l'ai dit tout à l'heure, c'est toi que je veux.
Elle le contempla avec dans les yeux un mélange de terreur et d'incrédulité.
— Et pourquoi maintenant ? Après tout ce temps !
Byron se leva tandis qu'elle résistait vaillamment à la tentation de s'enfuir. Il ne s'approcha pas d'elle, se contentant de la dévisager comme s'il cherchait à pénétrer toutes les nuances de son expression.
— A trente-six ans, je suis le seul de la famille à ne pas avoir encore d'enfant à moi. Je n'ai que des neveux et des nièces.
— Crois-moi, il y a des tas de femmes qui seraient ravies de tenter leur chance. Avec tout l'argent que tu as, tu pourrais même en payer une pour le faire.
— C'est précisément ce que j'ai décidé.
— Non. Pas moi. Pas question.
Au moment où elle se levait pour attraper son sac et filer, la main d'acier de Byron la cloua sur place.
Soudain, elle le sentit tout près d'elle, bien trop près pour qu'elle puisse respirer, penser ou s'échapper.
— Réfléchis, Cara, dit-il d'une voix rauque. Tu peux tout avoir. Même ta carrière. Mon argent peut servir à te remettre le pied à l'étrier.
En tentant vainement de se dégager, elle croisa son regard implacable et déterminé et se sentit acculée.
— Pourquoi me traites-tu de la sorte, Byron .? Tu ne peux pas me haïr à ce point ?
Il prit tout son temps avant de lui répondre et Cara sentit son haleine tiède sur son visage. Son propre corps la trahissait et semblait se pencher vers celui de Byron, en attente, comme s'il cherchait déjà à rattraper le temps perdu.
— Je ne te hais plus. Je n'éprouve plus envers toi aucun sentiment. Mais je sais ce que je veux, et tu es celle qui me permettra de l'obtenir.
— Pour te venger au bout de sept ans ?
— Pas du tout, protesta-t-il sans desserrer d'un pouce l'emprise de sa main sur le poignet de la jeune femme. Comme je viens de te l'expliquer, j'en suis arrivé à un moment de ma vie où il me faut bien faire un bilan. Je ne veux pas me réveiller le jour de mes quarante ans en me disant : « Mon Dieu ! J'ai complètement oublié d'avoir des enfants. » Tu n'y penses pas, toi, Cara ?
— Absolument pas, mentit-elle. Jamais.
— Eh bien, moi, si. J'y pense sans cesse. Mes frères et sœur ont beau être plus jeunes que moi, ils ont tous les trois des enfants. Félicity va avoir son deuxième dans cinq semaines.
En imaginant la jeune sœur de Byron en fin de grossesse, Cara sentit son cœur se serrer.
— Je t'en prie, n'exige pas ça de moi. Je ne suis pas la bonne personne. Je n'ai pas les qualités requises.
— Tu les possèdes, même si tu ne veux pas le reconnaître. Et même si ce désir est profondément enfoui en toi, tu aspires à ce bonheur. Dieu sait que j'ai essayé de t'en persuader il y a sept ans, mais j'ai échoué. Cette fois, je ne laisserai pas passer l'occasion sans tenter ma chance.
— Comment as-tu pu de sang-froid concevoir une pareille machination ? C'est inhumain, méprisable, c'est...
— C'est pourtant ce que je désire.
— Ce que tu désires, tu l'obtiens donc toujours ?
— La plupart du temps. Pas toujours. Mais cette fois-ci, j'y compte bien.
— Eh bien, tu t'es trompé et je n'entrerai pas dans ton jeu. Trouve-toi une autre mère porteuse. Je ne suis pas à vendre.
Échappant à son emprise, Cara bondit vers la porte et se rua dans l'ascenseur dont elle pressa à la hâte le bouton. Quelques secondes plus tard, l'appareil la déposa au rez-de-chaussée et elle se retrouva dans la rue, perdue dans la foule, encore incapable de reprendre ses esprits et de comprendre ce qui venait de lui arriver.
Byron n'était plus qu'un étranger pour elle. Le charmant séducteur qui l'avait conquise en un sourire avait fait place à un homme déterminé, prêt à tout pour arriver à ses fins. Mais s'il tenait tant à se venger d'elle, pourquoi avoir patienté sept ans ?
Avait-il attendu dans l'ombre que sa proie devienne assez vulnérable, pour pouvoir fondre sur elle et la tenir définitivement à sa merci ?
— Trevor, balbutia-t-elle d'une voix défaite en plaquant le mobile contre son oreille, peux-tu me dire enfin où nous en
sommes ?
— Chérie, ça n'a pas l'air d'aller du tout, répondit-il sur un ton apaisant. L'entrevue avec Lord Byron se serait-elle mal
passée ?
— Tu ne crois pas si bien dire. On dirait qu'il est en pleine crise de mégalomanie.
— Tu veux dire qu'il a la folie des grandeurs ?
— Plus que tu ne peux l'imaginer. Mais toi, pourquoi ne m'as-tu pas avertie de la situation dans laquelle nous nous trouvions ?
— Je ne voulais pas que tu te fasses du souci. Depuis deux mois, je te trouvais un peu déprimée, et...
— Ça fait des années que je le suis. Dis-moi la vérité. Pourquoi ne m'as-tu rien dit ?
— Tout est ma faute. Avec mon « génie créatif », comme tu l'appelles, j'ai pris des risques inconsidérés. Et maintenant, c'est toi qui vas payer les pots cassés.
— Je ne vais rien payer du tout. Byron n'a plus toute sa tête. Jamais je ne ferai ce qu'il me demande.
Il y eut un silence de mauvais augure au bout de la ligne.
— Trevor ?
— Écoute, Cara, dit-il d'une voix lasse, on n'a pas vraiment le choix. S'il ne nous aide pas, c'est la faillite. Je ne vois pas d'autre moyen de nous en sortir que faire ce qu'il nous dit. Ça ne peut quand même pas être si difficile de lui décorer son château ?
— Plus que tu ne l'imagines.
— Si tu as besoin d'aide, tu sais où me trouver.
Malgré tous leurs problèmes, elle ne put s'empêcher de rire.
— Je doute d'avoir besoin de toi dans ces circonstances.
— Enfin, au cas où, tu connais mon téléphone. Mais je t'ai déjà dit avec qui j'avais rendez-vous ce soir ?
— Antonio ? Je croyais que tu avais renoncé à lui ?
— J'ai reconsidéré les choses. Mieux vaut aimer, même sans espoir, que ne pas aimer du tout. — Dans ce cas, passe une bonne soirée et à demain.
Cara passa les trois jours suivants à explorer les registres de comptabilité pour juger par elle- même de l'étendue du désastre. Après avoir rencontré le comptable et le banquier, elle dut se faire à l'idée que la catastrophe était imminente. Ce dernier lui déclara d'un air contrit que si elle refusait l'offre très généreuse qu'on lui faisait, la faillite était inévitable.
Elle quitta la banque en plein désarroi, se reprochant de ne pas avoir pris conscience plus tôt de la situation.
Trevor avait raison : depuis deux mois, ses crises d'angoisse étaient devenues plus fréquentes encore. Son vingt-neuvième anniversaire approchait et tous ses horribles souvenirs d'enfance ne manqueraient pas de resurgir, une fois de plus, à cette date.
A peine avait-elle regagné le bureau que son associé lui annonça l'arrivée de Byron. Le cœur serré, elle regarda sa montre. Elle n'avait plus eu de ses nouvelles depuis le mardi précédent, quand elle avait rejeté son offre. Depuis, elle s'était comportée comme si tout cela n'était qu'un mauvais rêve. Mais chaque matin, une boule d'angoisse au fond de sa gorge lui rappelait qu'elle ne faisait que fuir une cruelle réalité.
— Cara.
Levant la tête, elle aperçut sa haute silhouette aux larges épaules dans l'embrasure de la porte et un maelström d'émotions l'assaillit soudain.
Byron était vêtu avec élégance d'un costume gris acier, fort coûteux, de toute évidence, d'une chemise blanche et d'une cravate rouge sombre.
Les jambes en coton, elle se leva pour le saluer :
— Monsieur Rockcliffe, je...
— Cara, à quoi bon ces formalités ? Il s'agit de toi et moi.
Pour éviter de croiser son regard, elle fit mine de s'absorber dans la contemplation de son nœud de cravate.
— Byron, sans vouloir me montrer désagréable, je crois qu'il vaut mieux en rester là. Ton offre a beau être très généreuse, il m'est impossible d'en accepter les conditions.
— Ainsi, tu préfères perdre tout ce que tu possèdes que reprendre temporairement une relation avec moi ?
— Temporairement ?
— Cela te gêne ?
— Mais non.
— Dans ce cas, tu as le choix. C'est très simple : soit tu viens avec moi, soit tu me demandes de partir.
Assaillie par un tourbillon de pensées confuses, Cara ne put répondre.
— Alors ? insista-t-il. Tu sais, une faillite n'est pas une partie de plaisir. C'est une cicatrice infamante que tu garderas tout au long de ta vie... professionnelle.
Une cicatrice, vraiment ? S'adressant à elle, il n'aurait pu choisir métaphore plus parlante que celle-là. Malgré tout le dégoût que lui inspirait son offre, le souvenir cuisant du bilan comptable hantait son esprit. Elle s'imaginait dans l'avenir, cherchant à obtenir un prêt d'une banque. Sans espoir, même si on ne pouvait rien lui reprocher d'autre qu'une trop grande naïveté.
Pour échapper au passé, elle s'était lancée à corps perdu dans ce travail où elle s'était fait une solide réputation, trouvant une forme de réconfort dans les vieilles demeures qu'elle restaurait ou dans les maisons d'architecte qu'elle décorait.
Couleurs, étoffes, matières, rien n'était laissé au hasard. Tout devait concourir à l'effet qu'elle recherchait. Et voilà que si elle refusait de céder au chantage de Byron, tous ses efforts seraient définitivement perdus.
— Cara?
Elle leva les yeux vers lui, la gorge nouée par l'émotion.
— Je... je désirerais voir d'abord la maison.
— Mais pourquoi ? demanda-t-il en fronçant les sourcils.
— J'en ai envie, voilà tout.
— Pour mieux évaluer les bénéfices ?lança-t-il sur le ton le plus cynique.
Une fois de plus, elle détourna les yeux.
— Il est hors de question que je prenne à la hâte une telle décision. Je veux envisager le problème sous tous ses angles.
— Très bien.
— Dans ce cas, allons-y, dit-elle en tentant de dissimuler son trouble sous un masque impassible.
Un véritable palais, songea Cara en pénétrant dans le vaste hall dont Byron lui avait ouvert la porte. Au fond, se dressait un magnifique escalier orné d'une balustrade de fer forgé. L'étage était éclairé par de hautes baies vitrées. Des tapis anciens aux couleurs chaudes réchauffaient le sol de marbre clair. Une atmosphère fascinante émanait de ce lieu privilégié.
— Qu'en penses-tu ? s'enquit Byron qui la suivait de près.
— C'est magnifique ! Beau à couper le souffle, répondit-elle en se tournant vers lui.
— Viens admirer la vue, dit-il en la guidant vers une fenêtre qui donnait en plein sur Neutral Bay. En baissant les yeux, elle aperçut un deux-mâts qui rentrait lentement au port.
— De la chambre de maître, on aperçoit Shell Cove, dit-il, rompant un long silence.
— Cet endroit est vraiment magique, Byron. La plus belle maison que j'aie jamais vue.
— Quel compliment ! dit-il d'une voix neutre, comme s'il se refusait à dévoiler le fond de sa pensée.
Son regard restait froid et impénétrable.
S'écartant de la fenêtre, Cara descendit dans le salon dont un des murs était percé d'une vaste cheminée. Immédiatement elle imagina les soirées merveilleuses qu'elle aurait pu passer dans cette pièce, blottie sur un confortable canapé de cuir, à contempler la danse des flammes. L'arrivée de Byron l'arracha à sa rêverie, provoquant en elle un trouble auquel elle tenta d'échapper en passant dans la cuisine, toute d'acier poli et de granit noir.
Si elle avait eu à l'aménager, ses choix n'auraient pas été différents, songea-t-elle en se demandant si Byron s'était chargé lui-même de la décoration ou si sa sœur Félicity l'avait aidé. — Tu peux travailler sur cette base. A partir de là, tu as tout loisir de choisir les couleurs que tu désires pour le reste de la maison, ainsi que les étoffes et les tapis. Fais ce que tu veux. Le prix n'entre pas en ligne de compte.
Comme il s'approchait d'elle, elle s'écarta du comptoir.
— Byron, je...
Il posa vivement un doigt sur les lèvres de la jeune femme.
— Non. Ne me dis pas déjà ce que tu as décidé. Elle lui jeta un regard désemparé.
— Tu hésites encore, je le sens. Mais tu es tentée d'accepter, n'est-ce pas, Cara ?
Elle voulut détourner la tête, sans avoir cependant la force d'échapper à la caresse de son doigt qui suivait lentement le tracé de sa lèvre inférieure, éveillant en elle un monde de sensations qu'elle croyait perdues à jamais.
— Cette maison te plaît, ajouta-t-il. Pourtant, tu n'es pas encore sûre d'accepter les autres termes du contrat
Elle ouvrit la bouche pour répondre sais réussir à proférer le moindre son.
— Je te laisse jusqu'à la fin de la semaine pour trancher, dit-il en s'écartant un peu. Mais pas plus. Je t'appellerai dimanche soir pour connaître ta réponse définitive.
Elle frissonna, passant machinalement la langue sur ses lèvres. A l'endroit même où il avait posé le doigt.
— Très bien, répondit-elle d'une voix hésitante.
Il leva les sourcils, surpris de la voir acquiescer.
— Puisque nous sommes d'accord, je vais te montrer le jardin. Il te plaira sûrement.
Cara le suivit à l'extérieur, admirant la piscine qui scintillait sous le soleil, enivrée par la puissante senteur du jasmin. Une pelouse bordée d'azalées menait au court de tennis construit sur une terrasse, en contrebas de la maison.
Au loin, on apercevait les reflets du port. La jeune femme emplit ses poumons d'air marin, troublée de sentir le temps s'écouler si vite.
— Tu continues à jouer ? lui demanda Byron en s'approchant d'elle au point de la frôler imperceptiblement.
— Voilà des années que je n'ai pas touché une raquette, reconnut-elle.
— Tu as tort Tu avais un excellent niveau.
Cara crut entendre un rire d'enfant dans le lointain. Sans doute un effet de son imagination. Le temps semblait s'être arrêté, mais à l'arrière-plan, elle percevait vaguement les pépiements des moineaux sur la pelouse et les roucoulements des colombes. Elle ne pouvait s'arracher à l'emprise fascinante des prunelles sombres qui avaient capturé son propre regard.
Lentement, Byron baissa la tête et sa bouche vint se poser sur celle de Cara qui s'abandonna doucement en réponse, tandis que ses jambes chancelantes semblaient se refuser à faire le moindre pas en arrière.
Un simple baiser échangé par deux étrangers, rien de plus. Elle sentit ses lèvres s'écarter plus largement sous celles de Byron et comprit qu'elle était vaincue sans même s'être battue. Leurs langues s'unirent et s'il ne l'avait pas retenue de ses bras d'acier, elle serait certainement tombée.
Elle se laissa aller contre lui, surprise de percevoir la puissance de son désir et honteuse de sentir son corps y répondre instantanément. Sept longues années s'étaient écoulées sans que leurs bouches s'oublient et sans que se tarisse l'envie qu'ils avaient l'un de l'autre.
A peine Byron avait-il effleuré de la main sa poitrine que ses seins se durcirent dans l'attente de ses paumes. Comme il pressait ses hanches contre celles de Cara, elle le sentit se durcir à travers ses vêtements et retrouva, au plus profond de son être intime, la brûlure qu'elle n'avait plus éprouvée depuis sept ans.
Soudain, il s'arracha à son étreinte et fit un pas en arrière. De peur de tomber, Cara dut s'agripper à la grille de fer forgé qui séparait la pelouse de la piscine. Pour se donner une contenance, elle se passa la main dans les cheveux.
— Je vais t'attendre dans la voiture, déclara-t-il d'une voix sans émotion. Prends ton temps pour examiner tout ce tu veux, j'ai quelques coups de téléphone à donner.
Cara l'observa jusqu'à ce qu'il ait disparu à sa vue, gardant encore sur les lèvres le goût brûlant de leur baiser. Une saveur familière et cependant étrange. Tout en se retournant vers l'immense maison, elle se demanda quelle décision elle allait prendre. Mais peut-être son corps avait-il déjà décidé à sa place. Aurait-elle jamais la force de s'éloigner de Byron une seconde fois ?
En passant par la salle de bains avant de le rejoindre, elle observa son visage dans le miroir. Une étrange lueur sauvage et lascive brillait dans ses yeux noisette. Une lueur pleine d'une passion naguère endormie, mais qu'avait suffi à réveiller le contact de cette bouche qui pas une seule fois encore ne lui avait souri.
Voter s.v.p

Seconde chanceWhere stories live. Discover now