La Rencontre

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Jean Dupond était un homme comme un autre. Il se levait chaque matin, allait à son lieu de travail où il passait la journée, puis il rentrait chez lui le soir venu. Rien ne semblait le distinguer de ses collègues et pourtant, chaque nuit, il faisait des rêves pas comme les autres. Jean Dupond différait de ses camarades humains : il était un medium. Toutes les nuits, une nouvelle vision l'assaillait, lui montrant le malheur d'une personne. Ce malheur pouvait se matérialiser de nombreuses façon, parfois la victime mourait, parfois elle se faisait agresser, violer, elle perdait son argent, sa famille... Aucune prémonition ne se ressemblait. Souvent, les misérables lui étaient inconnus au moment du songe mais très vite il les rencontrait et pouvait voir la lente évolution jusqu'à leur misère, une longue descente aux enfers.

Et lui de regarder.

Il s'habituait, depuis le temps, à ces images et aujourd'hui, même si elles le réveillaient en sursaut, il arrivait à en faire abstraction.

Ce matin-là, il ne connaissait pas la femme ; il haussa des épaules et quitta son lit sans plus de manière. Pourquoi ferait-il quoique ce soit pour cette anonyme ? Il se leva, mangea un délicieux petit-déjeuner puis parti tranquillement à son travail. Il se situait à quelques pâtés de maisons, Jean Dupond s'y rendait à pieds, pour faire un peu d'exercice.

Il y croisa la fameuse femme du rêve de la nuit. Elle semblait jeune, mais travailleuse puisqu'une tonne de document la submergeait au point qu'elle ne savait plus que faire pour qu'ils ne s'écrasent pas sur le sol. Bientôt cependant des feuilles s'envolèrent et en tentant de les rattraper, le reste tomba sur le goudron. Les dossiers s'étalèrent tandis que la foule glissait autour d'eux sans s'arrêter : ils n'avaient ni le temps ni l'envie d'aider cette demoiselle en détresse. Certains écrasèrent les papiers noircis de mots sous les protestations de la jeune femme mais cela ne leur faisait rien, ils étaient indifférents à son sort.

Jean Dupond cessa sa marche et se baissa pour ramasser avec elle les écrits. En fait, elle se trouvait sur son passage et il lui semblait impossible de rentrer dans la foule autour d'eux pour la contourner. Au moins l'assemblée laissait un creux, s'éloignait du désordre que causait cette dame.

« Merci, le remercia la femme.

-Ce n'est rien, tout le monde ferait la même chose. Et puis je suis en avance donc j'ai largement le temps d'aider.

-Vous devez avoir beaucoup d'avance pour vous permettre d'aider une idiote ne pouvant tenir ses affaires, sourit-elle.

-Plutôt oui, un cauchemar a fait office de réveil, plaisanta-t-il.

-Ça arrive... En tout cas merci ! »

Un silence s'interposa entre eux, vite brisé par l'objet du rêve de Jean Dupond :

« Je m'appelle Pierre Durand, se présenta-t-elle.

-Pierre ! Ce n'est pas un nom masculin normalement ?

-Pas forcément », rigola Pierre Durand.

Les deux connaissances parlèrent encore longtemps avant que Jean Durand ne dût se présenter à son travail. Ils échangèrent leurs numéros et se séparèrent.

A présent Jean Durand savait qui était la chimère de son rêve, et pourtant son sort ne l'intéressait pas plus.


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