CHAPITRE XI

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Elle avait compté depuis le jour de sa mort. Cela faisait maintenant quatre mois qu'elle n'était qu'un fantôme, quatre mois qu'elle avait abandonné sa famille et sa meilleure amie. Elle n'essayait même plus d'entrer en contact avec Andrew, à quoi bon ? Autant le laisser vivre sa vie. En revanche elle n'avait pas compté le temps que cela faisait qu'elle errait sans but, qu'elle devenait plus que le reflet d'elle-même essayant tant bien que mal d'échapper à son propre Faucheur. Elle n'avait pas non plus compté le temps que cela faisait qu'elle revivait sans arrêt le jour de sa mort. En général, le peu de lucidité qui lui restait lui permettait de se réveiller de ce cauchemar pour se rendre alors compte qu'elle rêvait.

Malgré tout, elle perdait en énergie et peut-être bien qu'elle se ferait attrapée par le Faucheur, ou peut-être bien qu'elle disparaît. Elle l'avait appelé pourtant, elle avait tenté d'appeler Raphaël. Après tout, c'était comme cela qu'il était apparu la première fois mais apparemment, il n'avait pas entendu son appel ou alors, il n'avait tout simplement pas envie de lui venir en aide. C'était un démon, il n'avait donc aucun sentiment ou très peu. D'ailleurs, est-ce qu'un mort pouvait ressentir des choses ? Jane ressentait tout. La solitude était sûrement le pire. Elle avait appelé son monde ainsi : Solitude. Elle aurait pu l'appeler Tristesse ou Désespoir mais le mot solitude regroupait tout. Alors c'était bien plus significatif pour elle.

Assise sur un tabouret dans une salle de classe de science, la tête posée sur sa main, elle regardait un récipient vide. Il faisait nuit, les néons au plafond éclairaient la pièce. Il y avait un professeur, il était assis à son bureau et corrigeait des copies dans le plus grand des silences. Elle se souvenait de ce professeur, elle détestait les sciences mais tentait sans arrêt de faire de son mieux pour ramener des bonnes notes, malheureusement pour elle, ce prof lui en faisait voir de toutes les couleurs. Elle leva seulement les yeux vers lui, sa tête reposant toujours sur sa main puis elle tapa sur le récipient avec son ongle, ce qui fit résonner un faible bruit qui perça le silence qui régnait dans la pièce. Il releva la tête et jeta un coup d'œil autour de lui, comme si ce son avait résonné aussi fort qu'un orage. Jane esquissa un faible sourire puis elle recommença, trois fois avant de se lasser. Elle leva alors les yeux vers le plafond et la lumière qu'émettaient les néons vacilla. Cette fois-ci, l'homme assis à son bureau retira ses lunettes et observa les néons tressauter une expression d'incompréhension déformant son visage. Du bout du doigt,

Jane poussa le récipient, il tomba et explosa en plusieurs petits morceaux de verres qui s'éparpillèrent partout sur le sol. Le quadragénaire se leva lentement et s'approcha du récipient. S'il avait su qu'il était si proche de l'une de ses élèves... Jane se leva et fit le tour de la table carrelée, une fois face à lui, elle pencha la tête sur le côté et le toisa longuement, souriant à la vue de l'expression déconcertée qui ne quittait pas son visage, comme s'il cherchait une explication rationnelle à ce qui était en train de lui arriver. Elle aurait aimé se montrer à lui et l'effrayait au point qu'il fasse une attaque ou qu'il reste marqué à vie.

Elle s'ennuyait, elle perdait les pédales, elle le savait mais c'était déjà trop tard pour faire marche arrière. Elle sentait ses yeux lourds comme si elle n'avait pas dormi depuis des jours, d'énormes cernes noirâtres entouraient ses yeux noisette, faisant contraste avec sa peau blanche. Néanmoins, jouer au méchant fantôme l'épuisait beaucoup plus vite, mais au point où elle en était, Jane n'en avait plus rien à faire, elle savait ses derniers instants en tant que fantôme arrivés. Puisant dans ses dernières forces, elle le poussa en frappant sa poitrine des deux mains. La quadragénaire recula de quelques pas et perdit même l'équilibre. Lorsqu'il se rendit compte de ce qu'il venait de lui arriver, il écarquilla les yeux et commença enfin à paniquer.

C'était bon de voir quelqu'un avoir peur, c'était ce qui rendait les esprits plus forts. C'était comme si la satisfaction d'effrayer quelqu'un lui donnait la force de continuer et ce sans jamais vouloir arrêter. Elle se rapprocha de lui et réitéra son geste. Il se cogna dans la table derrière lui, regarda autour de lui les yeux hors de leurs orbites puis se précipita vers la porte sur laquelle il se jeta. En y pensant aussi fort que possible, Jane réussit à faire tourner le verrou sans même le toucher et la porte se verrouilla avant que son ancien professeur puisse quitter la pièce. Elle n'en revenait pas d'avoir réussi à provoquer un tel phénomène mais elle ne voulait pas s'arrêter là. Pourtant, elle n'avait aucune raison de s'en prendre à ce pauvre homme. Ce dernier forçait sur la porte, jetant des regards inquiets par-dessus son épaule. Il décida de frapper contre pour faire le plus de bruit possible dans l'espoir d'alerter quelqu'un.

Je suis un Fantôme tome 1 [Édité]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant