Chapitre 10 - Profilage

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Quand Méliand entra, le commissaire était assis à son bureau et une jolie brune qui pouvait avoir la quarantaine, vêtue assez sobrement genre jean et veste de cuir, était en face de lui dans une des chaises visiteurs.

Le commissaire lui fit signe de prendre un autre des sièges :

-Je vous présente Mme Sarrez, des services de criminologie.

Méliand lui serra la main en bredouillant un « très heureux » avant de se dire que c'était un peu bête de dire ça à une collègue.

Elle ouvrit un gros dossier et le posa sur ses genoux.

- Nous avons tenté d'esquisser une première approche du profil du kidnappeur-tueur en série d'enfants que nous recherchons, dit-elle. Cette esquisse est basée sur ce que le passé nous a appris concernant ce genre de personne, sur des statistiques et, bien sûr, sur les observations de ses agissements au cas d'espèce. Il s'agit de probabilités, non de certitudes, nous sommes d'accord ?


« Tenté d'esquisser », « première approche », « profil », « probabilités  et non certitudes », elle est plus que prudente, se dit Méliand in petto.


- Il s'agit presqu'à coup sûr d'un individu masculin, sans doute de race blanche. Il pourrait avoir dans les 35-40 ans et vit probablement seul. Il est sans doute socialisé et organisé : il travaille et ses horaires lui permettent d'être disponible au moment où les enfants sortent des écoles ainsi que le week-end. Il a probablement un minimum de culture. Il est vraisemblablement atteint d'une psychose qui le pousse à commettre ces actes mais conserve le contrôle de son apparence de normalité. Il a sans doute un grand besoin de reconnaissance.

- Pouvez-vous étayer tout cela ? Je veux dire nous expliquer les raisons de ces... suppositions, demanda le commissaire.

Mme Sarrez le regarda en souriant. Il était clair que ce commissaire de la vieille école, qui parlait souvent de son « pif de flic », se méfiait des méthodes de profilage...

- Individu masculin parce que ce genre de meurtrier -rapt et meurtre d'enfants précédés ou non de viol- est un homme dans plus de 90% des cas ; race blanche car il n'a kidnappé que des enfants de race blanche et que les statistiques là encore ont montré que ce genre de tueur chasse dans sa propre ethnie sauf motif précis, style vengeance ou autre ; l'âge présumé est aussi basé sur les statistiques mais je concède qu'il peut avoir aussi bien 5 ans de plus que 5 ans de moins que la fourchette donnée ; il vit sûrement seul parce que pour faire ce qu'il fait, à savoir tuer, découper et sans doute manger les corps, eh bien c'est tout de même plus pratique d'être seul que d'essayer de faire partager ce goût à une compagne ou à un compagnon ; socialisé et organisé parce qu'il dispose d'un ordinateur, tape ses lettres, les envoie par La Poste en les timbrant même correctement, qu'il se débarrasse des corps proprement et en prenant un minimum de risques ; l'heure des rapts en semaine semble indiquer qu'il travaille et ne dispose pas de tout son temps libre...

- Je vois, dit le commissaire, et pour la psychose et le besoin de reconnaissance, on se doute bien que ces histoires d'ogre et les lettres qu'il expédie en sont l'expression.

- Exactement, commissaire, dit Mme Sarrez. Il a l'air obsédé par les contes pour enfants. Vous aurez remarqué que les têtes des trois premières victimes étaient maquillées en fonction des lettres qui vous ont été adressées ensuite de leur découverte : Thibaut censé représenter le Petit Poucet, Hugo maquillé en fille pour Aimée et Gaël grimé avec la tête d'un chat, le Chat Botté.

- Mais pourquoi ces personnages ?

- Parce qu'il se prend pour l'Ogre mais la raison profonde, il n'est même pas dit que les psychiatres la découvrent, même si on l'attrape... D'ailleurs, la tête de la petite Lysia, quatrième victime, n'était pas maquillée.


Tout cela n'apprenait pas vraiment grand-chose à Méliand dont il ne se doutât déjà. Et ça ne laissait pas de l'inquiéter. Il voulut néanmoins faire confirmer à cette spécialiste ce qu'il redoutait :

- Excusez-moi, dit-il. Si je comprends bien, ce type qui est suffisamment gonflé pour kidnapper des gamins en pleine rue, qui a le cœur assez bien accroché pour les tuer, les découper en morceaux et peut-être les cuisiner et les manger, et qui nous rend ce dont il ne veut plus dans des sacs poubelles peut, selon vous, être à peu près n'importe qui et paraître tout à fait normal, avoir des collègues qui l'apprécient, etc ?

- Parfaitement, mais je rectifierai vos propos : il n'a pas « le cœur assez bien accroché pour les tuer, les découper et les manger », non, il jouit de faire cela, il aime faire cela. Ca compense pour lui un problème qu'il a. Vous comprenez, pour lui, ce n'est pas répugnant mais agréable. Et ce qui lui est agréable aussi, c'est de vous écrire ou d'écrire aux parents pour se vanter de ses actes. Il est par ailleurs absolument persuadé que vous ne l'attraperez pas mais prend tout de même toutes les précautions pour ne pas que ça arrive. Ce type de personnage présente toujours de très nombreux paradoxes...


Mme Sarrez prit congé en laissant le gros dossier au commissaire.

Elle avait visiblement fait un effort pour synthétiser ce volumineux compte-rendu d'études, au point qu'elle en avait paru par trop simpliste.

Méliand l'avait bien compris et se dit qu'il ne pouvait faire l'économie de lire entièrement cette étude.

D'ailleurs le commissaire la lui tendait déjà :

- Si ça vous tente... Je ne crois que moyennement à ce genre de trucs, dit-il.

Il préférait surtout avoir du tangible à mettre sous la dent du divisionnaire...


Au moment où Méliand avait la main sur la poignée de la porte, prêt à sortir, on frappa. C'était Sobovic qui le cherchait. Méliand sortit.

- Dis-donc, ça t'intéresse un prof de danse qui tripote ses élèves ? demanda Sobo d'un air faussement dégagé.

- Ca dépend du sexe du prof, de son âge, s'il habite seul, s'il est blanc, socialisé, cultivé et s'il a besoin de reconnaissance, dit Méliand.

- Hein ?


Sobovic le regarda sans comprendre. Il avait raté son effet.

- Non, allez, je déconne, dit Méliand en montrant le gros dossier de Mme Sarrez. Quel âge les élèves ?

- Moyenne d'âge 10 ans, filles et garçons, dit Sobo.


L'Ogre de LyonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant