Chapitre 5 - Une piste

282 67 70
                                    


Le boucher fut convoqué au commissariat et finit par lâcher que la lettre qu'il avait postée était destinée à l'URSSAF. La belle affaire ! Comme s'il n'avait pas pu le dire avant.

On vérifia et l'URSSAF confirma.

Cela n'empêchait évidemment pas qu'il ait pu poster deux lettres à la fois, une pour l'URSSAF et l'autre pour la police...

On convoqua aussi les deux commis.

Il n'y avait rien à tirer du premier, qui était arrivé très récemment chez Canat et ne voulait visiblement pas avoir le moindre problème avec son peu sympathique patron.

En revanche le second, plus ancien dans la boucherie, ne semblait pas porter le boucher dans son coeur et n'avait pas les mêmes craintes : interrogé sur le point de savoir s'il arrivait à M. Canat de s'absenter de la boucherie en fin d'après-midi, à l'heure de la sortie des classes, il répondit sans hésiter que oui, cela arrivait fréquemment.

Après réflexion et recoupements, il indiqua que le boucher s'était absenté en fin d'après-midi les 15 et 24 septembre, dates respectives de la disparition des deux premiers garçonnets à la sortie de l'école... Mais c'était peut-être pour se rendre chez l'éleveur qui fournissait les génisses dont la viande était vendue ensuite à la boucherie, ajouta-t-il.

Du coup, Méliand décida d'entendre l'ex-épouse du boucher.

Elle non plus n'appréciait guère son ex-mari, mais après tout, c'était un peu normal puisqu'elle en avait divorcé !

Mais il y a divorce et divorce...


- Mon ex-mari, dit-elle, est un homme violent. Il l'a toujours été. Dès qu'on n'est pas d'accord avec lui, il s'énerve rapidement et aucune discussion n'est possible. Ce n'est pas difficile : il préfère ses chiens aux gens.

- Ah oui, les dobermans. Il les a depuis longtemps ? demanda Méliand.

- Ceux-là, je ne sais pas car il y a un moment que nous avons divorcé, mais de toute façon, il en a toujours eu, soit des dobermans, soit des rottweilers.

- Je vois. Mais vous n'avez pas divorcé parce qu'il aime ses chiens, je pense... dit Méliand d'un air faussement ingénu.

Elle le regarda intensément puis dit :

- Non, je n'ai pas divorcé à cause des chiens, ni même parce qu'il s'énervait tout le temps. Il y a autre chose. Ca me gêne d'en parler...

- Madame, tout ce qui se dit dans ce bureau ne sortira pas de là, entre vous et moi. Si vous savez quelque chose d'important, vous devez me le dire. Ce n'est pas une simple enquête de routine : il y a en ce moment, quelque part dans cette ville, une personne qui enlève les jeunes enfants et ne nous en rend qu'une petite partie. Nous ne savons ni ce qu'il leur fait au juste, ni pourquoi il le fait mais ce dont nous sommes à peu près sûrs, c'est que cette personne va continuer ça jusqu'à ce que nous l'arrêtions. Vous comprenez ?

- Oui, mais je ne suis pas certaine que ce que je... reproche à mon ex-mari puisse vous aider.


Elle hésita puis se décida soudain :

- Ecoutez, notre couple n'a jamais vraiment bien fonctionné. Je me suis faite peu à peu à ce bonheur médiocre et ça aurait pu durer comme ça. Mais un jour, j'ai surpris mon mari avec un jeune apprenti qu'il avait à l'époque. Ils s'embrassaient dans le bureau.

- Votre mari a des tendances homosexuelles, c'est ce que vous me dites ?

- Heu, pas seulement : l'apprenti devait avoir entre 15 et 16 ans, au grand maximum...

- Ah oui, effectivement, dit Méliand, ça change les choses.

- Nous faisions déjà chambre à part depuis longtemps quand c'est arrivé, mais là, c'en était trop pour moi. Je n'ai pas cherché à savoir ce qu'ils avaient vraiment fait ensemble. J'ai eu le sentiment confus que ça avait dû aller plus loin que des roucoulades dans le bureau. Voilà.

- Merci de votre franchise, lui dit Méliand.


Il était perplexe et demanda au commissaire de réunir l'équipe pour faire le point sur ce fameux boucher.


Entre temps, Sobovic et Merlon étaient rentrés de chez l'éleveur : celui-ci confirmait que Canat était bien passé chez lui les 15 et 24 septembre en fin d'après-midi afin de voir des génisses.

Canat procédait toujours ainsi : il tenait à voir sur pied les bêtes qu'il achetait, invariablement chez le même éleveur.

Difficile pour le boucher d'avoir enlevé les gosses à 17h à la sortie de l'école puis de s'être rendu ensuite chez l'éleveur à la sortie de Lyon : qu'aurait-il fait, à chaque fois, de son captif ? Sauf à l'avoir déjà tué et à l'avoir dissimulé dans le coffre de la voiture, mais alors, que de risques pris !

Un pan de la piste semblait s'écrouler.

Le procureur pensait qu'il n'y avait pas assez de présomptions contre M. Canat. Le juge d'instruction n'était pas favorable à une perquisition de la boucherie et de son domicile dans ces conditions.

Le commissaire était du même avis et il fut décidé de surveiller pendant quelque temps le boucher du coin de l'œil, tâche confiée à Justin et Merlon.


En attendant, le meurtrier, lui, courait toujours. Et il courait vite !


L'Ogre de LyonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant