Chapitre 3

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26 août – Boston.

Ils avaient accosté dix jours plus tôt à Boston et logeaient dans le quartier de Back Bay, chez des particuliers plutôt qu'à l'hôtel. La famille Bertrand habitait deux rues plus loin, mais Las Cases et son fils occupaient avec l'empereur une villa mise à leur disposition par le gouverneur. Leur arrivée à bord du Pride of Baltimore avait fait grand bruit, d'autant que Bonaparte avait débarqué en grand habit, de même que ses généraux. Tout le monde n'avait pas apprécié ce geste mais un dîner en compagnie de Caleb Strong leur avait ouvert de nombreuses portes. Bien que membre du parti fédéraliste, plutôt favorable aux Britanniques, l'homme avait été séduit par le personnage reçu dans sa propriété moins de deux jours après son arrivée. Les journaux avaient fait grand cas de cette réception et dressé un portrait élogieux, pour la plupart, de « l'Homme du siècle », ce qui avait rendu considérablement nerveuse l'Ambassade britannique. Les opposants à la cause bonapartiste s'étaient empressés de contre-attaquer avec des pamphlets calomnieux. La sécurité autour de la villa avait été renforcée, de l'avis même du gouverneur qui aurait très mal vu qu'il arrive quelque chose à son hôte d'un soir. En outre, en tant que « berceau de la révolution américaine », Boston nourrissait un certain sentiment anti-anglais qui ne pouvait que profiter à Napoléon. Ce dernier, cependant, avait choisi de faire désormais profil bas, en attendant la réponse au courrier qu'il avait envoyé au président James Madison par l'intermédiaire du capitaine Boyle.

Quant à Ange, il s'était occupé de tenir la promesse faite à Euphémia. Il s'était éclipsé le soir du 20 août pour se rendre sur une plage située entre l'embouchure des deux fleuves qui se jetaient dans la baie : la Mystic et la Charles Rivers. Il savait que sa grand-mère aimait les carrefours, lieux propices pour se débarrasser des mauvais sorts, d'après ses croyances. Et il avait senti, en se déshabillant sur la plage, qu'elle avait apprécié son choix. Il avait sorti, au préalable, la bourse contenant les plantes nécessaires au rituel, de même que le minné vini. Il était resté un moment à se souvenir de la manière dont il se l'était procuré. Un homme s'était présenté le lendemain de leur installation dans la villa. Il commerçait régulièrement avec Boston et naviguait sur les voiliers antillais qui y apportaient les denrées des îles. Euphémia, qu'il avait bien connue enfant, lui était apparu en rêve, avant son départ de Martinique, pour lui ordonner d'apporter la poudre magique à son petit-fils qui avait accompagné l'empereur. Ignorant à l'époque l'exil de Bonaparte, l'homme avait tout de même obéi à ce commandement, car il avait une dette envers la vieille femme, er s'était rendu directement à la villa où tous savaient que Napoléon et sa suite était installée. Il avait remis le minné vinni à Ange après avoir demandé qu'on avertisse « le Créole qui servait dans cette maison. »

Le premier bain, il l'avait pris au chaud, dans la villa. Versant dans la baignoire les herbes et les poudres, il s'y était ensuite totalement immergé et sous l'eau, avait émis son souhait. Celui-ci s'était résumé en une seule phrase : « Je veux trouver le faucon. » Il devait avouer toutefois qu'il avait aussi pensé, au même moment, à l'homme-cheval qui revenait souvent le hanter dans ses rêves et les apaisait depuis sa première purification. Il espérait que cela n'avait pas contrarié son vœu. Ensuite, il avait demandé l'aide des domestiques pour remplir plusieurs bassines avec l'eau de la baignoire et les avait encouragés à nettoyer la maison. Il avait aussi récupéré les feuilles et les avaient enterrées, pour une grande partie, dans le jardin. Quant au reste, il l'avait enseveli sous le sable de la plage où il avait pris, le lendemain, son troisième bain purificateur.

Une fois sur place, le jeune homme avait dû attendre minuit pour entrer dans l'eau qui n'était vraiment pas chaude. Se frictionner vigoureusement n'avait pas seulement permis de chasser les maux de l'année, mais aussi de lutter contre le froid. Ses ablutions faites, il était ressorti, en tournant le dos à la mer, après avoir attendu sept vagues, et s'était débarrassé du petit bouquet d'herbes qu'il avait conservé pour cette dernière cérémonie. Il avait quitté la plage en prenant bien soin de ne pas se retourner.

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⏰ Last updated: Sep 07, 2015 ⏰

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Les Aigles du Mississippi : L'Ange et le Faucon - 1Where stories live. Discover now