Chapitre 1

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Ange sortit du salon en compagnie d'Ali. Le Créole laissa échapper un long soupir, ce qui lui valut un regard amusé de la part du domestique.

« Vous vous en êtes bien sorti, commenta ce dernier.

— Vous trouvez ?» s'étonna le jeune homme.

L'ancien piqueur des écuries royales hocha la tête.

«Croyez-moi, je pense même que vous lui avez fait forte impression.

— Si seulement il pouvait accepter de me croire, pria Ange.

— J'ai vu briller quelque chose dans son regard que je ne pensais pas revoir de sitôt, murmura le serviteur.

— Quoi donc ? l'interrogea le jeune Guérin, tandis qu'ils rejoignaient les quartiers des domestiques.

— De la hargne, confia l'homme.

— Ali, ce n'est pas votre vrai nom ? »

Le serviteur secoua la tête.

« Non, c'est Louis-Etienne. Ali est un surnom que l'empereur a souhaité me donner, en mémoire de mon prédécesseur. Entendez cela plus comme un titre honorifique, dont je suis fier d'ailleurs, car il exprime la confiance de l'empereur, se rengorgea le valet. Il ne parlera pas de vous aux autres avant d'être sûr, confia-t-il ensuite. En attendant, vous resterez avec moi.

— Je ne tenterai pas de partir, je vous le promets, assura Ange. J'ai eu trop de mal de toute façon pour arriver jusqu'ici et je dois confesser que je n'ai plus un sou.

— Ça ne vous fera donc rien de dormir avec les domestiques, annonça l'ancien piqueur.

— Dès lors que j'ai un toit sur la tête. Je viens de vivre la plus effroyable nuit de mon existence.

— M'est d'avis que ça ne sera pas la dernière, si vos espoirs se réalisent », argua le serviteur. Après avoir informé les domestiques que l'empereur, du fait d'une indisposition, retardait son embarquement, Ali présenta le jeune Guérin comme une connaissance de Mme de Beauharnais qui était venu faire ses adieux à l'empereur. Cela lui valut un bon accueil et quelques questions sur l'ancienne épouse de Bonaparte qu'il ne connaissait pas du tout. Il en rapporta ce qu'il en avait entendu dire à la Martinique d'où il venait. On l'interrogea ensuite sur son île qu'il ne regrettait pas d'avoir quittée.

Ange avait toujours mal vécu ses origines qui lui coûtait de n'être ni apprécié par les esclaves, ni reconnu par les Blancs. Il en avait longtemps voulu à son père pour sa folie d'avoir affranchi sa mère afin de l'épouser, au mépris du courroux de sa propre famille qui s'était détournée de lui. Constant Guérin avait dû vivre de son petit négoce qui ne lui avait jamais rapporté grand-chose et avait fini par se tuer à la tâche. Uranie, sa femme, avait effectué de menus travaux dans les demeures bourgeoises de l'île, comme couturière principalement. Ils avaient assuré un avenir à leur fils qui avait pu apprendre à lire et à compter, mais aussi à parler anglais en travaillant pour un client de Constant. Ange avait toujours trouvé son île trop étroite, il y étouffait, il sentait qu'il n'aurait aucun avenir en Martinique. Cependant, les moyens lui manquaient pour envisager autre chose que de suivre les traces de son père.

Il n'avait fait la connaissance de sa grand-mère qu'à la mort de Constant. L'impressionnante vieille femme avait séjourné quelque temps chez sa fille afin de l'aider à régler les affaires de son mari et à faire son deuil. Les ennuis du jeune homme avaient commencé à peu près à cette période. Euphémia n'avait cessé de le harceler à propos de son don, lui expliquant qu'il devait se préparer, que lorsqu'il s'éveillerait, s'il n'était pas armé pour affronter ce qui l'attendait, il y perdrait son âme. Ange avait accueilli ses jérémiades par un silence obstiné, s'attachant à l'éviter le plus possible et à s'éloigner davantage de sa mère, prétextant tout le travail que lui donnait son patron dans les plantations.

Les Aigles du Mississippi : L'Ange et le Faucon - 1Waar verhalen tot leven komen. Ontdek het nu