Embrasements

11 2 4
                                    

Japon, 1581

D'énormes flammes rouges lacéraient l'épais manteau noir du ciel nocturne. Elles dansaient, infatigables, projetant des ombres tremblantes sur le chemin de terre. Tanba courait entre les arbres enflammés. La sueur coulait sur son front. La chaleur des flammes l'étouffait, malgré la fraîcheur de la nuit d'octobre. Autour de lui les arbres défilaient à toute vitesse, formant, en périphérie de son champ de vision, un tunnel sombre au reflets dorés, rougeoyants et palpitants. Son cœur battait à toute allure, au même rythme que ses pieds frappaient le sol. La traversée semblait interminable. La crainte commençait à le gagner, il ne parvenait pas à contrôler l'angoisse lancinante qui lui prenait la gorge, troublant sa respiration déjà saccadée. Il avait pourtant appris à maîtriser ses émotions durant sa formation. Son grand-père lui avait enseigné les techniques ancestrales qui devaient lui garantir un contrôle total de ses capacités physiques.

Ne pas se laisser aller, garder toutes ses ressources pour courir. Ne pas entraver son corps avec son esprit.

Il se souvenait des longues et dures heures d'entraînement, destinées à le rendre plus fort et agile à la fois physiquement et mentalement. Il avait appris à passer inaperçu, à se fondre dans le décor, et à se sortir de toutes sortes de situations délicates. Il revoyait la lumière vacillante de la bougie qu'il devait fixer pendant des heures, afin de développer son sixième sens. Détecter le danger sans le voir, anticiper les coups et manœuvres de l'ennemi. Cela demandait une énorme concentration. Il connaissait à présent d'innombrables techniques de survie, mais aussi de cambriolage et de meurtre. Il devait tuer des gens, sans en éprouver de remords. Cela lui avait paru difficile au début, mais il maîtrisait à présent son empathie, la modulait, afin de ne pas en ressentir pour ses cibles. Ces techniques lui permettaient de gagner de l'argent, utile à sa famille et son village, et de défendre ses terres d'éventuelles attaques.

Comme ce soir là. Il avait dû tuer des hommes, un grand nombre. Les hommes d'Oda Nobunaga, qui assiégeaient ses terres, qui brûlaient les forteresses de la province d'Iga, son foyer. Sa terre natale, ces champs et ces forêts qu'ils connaissait par cœur, dans les moindres recoins. Cela avait aussi fait partie de sa formation. Apprendre toutes les cachettes, les meilleurs terrains dans lesquels tendre des embuscades, les endroits les plus stratégiques pour placer des pièges.

Tanba rentrait d'une attaque nocturne, destinée à affaiblir les troupes du puissant seigneur, déjà maître de nombreuses provinces japonaises. Il était parti avec deux autres ninjas. Ils devaient pénétrer les campements ennemis, essayer de tuer un maximum d'hommes, semer la crainte et le trouble dans les esprits des soldats. Ils avaient d'abord furtivement assassiné les soldats de garde, puis les dormeurs, un à un, rapidement mais avec précaution. Les lames tranchantes s'enfonçaient dans la chair des ennemis, pour en revenir rouges et dégoulinantes. Ils devaient se hâter, avant qu'un signal d'alarme ne retentisse. Ils voulaient s'attaquer au général envoyé par Nobunaga. Peut-être qu'alors, l'armée capitulerait, ce qui sauverait de nombreux paysans d'Iga.

Mais en arrivant près de la plus grande tente du camp, quelque chose d'anormal les mit en alerte. Leur sixième sens leur recommanda d'être prudents. Ils avaient peut-être trop traîné, une agitation semblait avoir gagné le camp. Quelqu'un avait dû remarquer la mort des gardes. Ils devaient faire très vite.

Ils n'étaient plus qu'à une dizaine de mètres de leur cible. Ils furent contraints de courir à découvert entre les tentes et les braseros parsemant le sol, lançant une bombe fumigène devant eux pour déstabiliser les trois hommes qui gardaient l'entrée de la tente.

Alors qu'ils l'atteignaient enfin, d'autres hommes accoururent de derrière eux, armes à la main, vociférant des insultes à leur encontre. Des ordres fusaient, les tentes déversaient un flot continu de soldats enragés. Ils n'avaient plus le choix, ils devaient fuir avant de se faire encercler.

EmbrasementsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant