"Comment c'est arrivé ? demandai-je.
" Ça s'est passé durant la nuit. Ton frère conduisait le tracteur jusqu'à chez Pietro, le fermier tu sais, celui qui habite près de la route.
J'acquiesçai, le cœur serré, et continuai à l'écouter.
" Apparemment, le moteur est tombé en panne. En descendant pour vérifier ce qui n'allait pas, une voiture a tenté de dépasser.
Elle ne l'a pas vu.
Matteo est mort sur le coup.
Les larmes me remontèrent sans jamais quitter mes prunelles.
Ma gorge était serrée, mes poings fermés contre ma taille.
Ce geste celui de ne pas pleurer, de ne pas montrer mes sentiments me faisait passer pour quelqu'un de froid, sans cœur.
Peut-être que mon caractère s'est forgé à l'image que mon père m'a renvoyée depuis l'enfance.
Il n'a jamais été tendre avec moi.
Jamais un "je t'aime".
Jamais une étreinte.
Les rares fois où je l'ai vu sourire, c'était pour mon frère : lorsqu'il a obtenu son diplôme, et le jour de son mariage avec Lucia.
D'autres sourires, plus sombres, se manifestaient quand il me frappait ou me rabaissait comme si j'étais un moins que rien.
Il critiquait ma vie, mes choix, ma légèreté.
Il se moquait de mon attitude, de mes gestes qu'il jugeait trop efféminés.
Comme si tout en moi était une offense à ce qu'il croyait être un homme.
Pourtant, que je sache, aucune femme aucune nouvelle amante ne m'a jamais dit que mes caresses ou mes baisers étaient efféminés.
Au contraire, elles aimaient cette douce domination, cette emprise subtile que j'avais sur leurs corps brûlants.
Les soirées à Chicago étaient pleines de musique blues, jazz et d'ivresse jusqu'à perdre la tête.
Tout y était simple, léger, libre.
Rien à voir avec l'Italie, engouffrée dans une guerre que nous n'avons pas demandée.
J'aimais m'enivrer dans ces nuits où la liberté sonnait comme une douce mélodie.
J'étais libre dans ma tête, dans mes choix.
Tellement libre qu'un soir, pris par l'alcool, j'ai embrassé un homme dans une ruelle discrète.
Je ne peux pas dire que j'ai aimé.
Mais je ne peux pas dire que cela m'a déplu non plus.
Mon regard se glissa vers Giorgio, toujours à mes côtés.
Il me parlait avec chaleur de la joie d'être devenu père, de la bienveillance de sa femme, et des changements survenus depuis mon départ.
Puis, son ton se fit plus grave.
Il m'expliqua comment le "Duce", Mussolini, avait réussi à diviser l'Italie et son peuple.
Comment des citoyens opposés à sa politique de dictateur avaient disparu du jour au lendemain.
Il me parla aussi de Mussolini et de pacte avec son ami Franco.
"Et où vont ceux qui ont eu l'audace de se confronter au Duce ? demandai-je.
Giorgio haussa les épaules.
" Je ne sais pas trop... mais les rumeurs disent qu'on les envoie à l'Est, dans des camps de prisonniers.
"Sûrement que ton père doit le savoir, me dit Giorgio d'un air grave.
" J'en doute pas, Giorgio. Mais sincèrement, ce que fait mon père la politique, ses réunions intimes avec ses bourgeois, tout comme le domaine...
Je m'en fiche.
L'unique chose que je veux, c'est rentrer à Chicago et reprendre ma vie, finis-je par dire en désignant les vignes d'un geste large.
Je le dévisageai.
Son air heureux s'évapora, laissant un malaise entre nous.
"Qu'est-ce qu'il y a ? demandai-je.
Giorgio hésita, puis baissa légèrement les yeux.
" Comment te dire, Jordan...
Ton père, après la mort de ton frère, m'a confié les hectares du domaine.
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un simple souffle Tome 1
Historical FictionDébut de l'année 1942. En plein cœur de la Seconde Guerre mondiale, Nissim jeune homme français de confession juive,voit ses rêves de devenir pianiste professionnel s'évanouir sous le poids des conflits. Son ambition d'un jour jouer dans les plus gr...
chapitre 3
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