chapitre 3

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Jordan...

Mars 1942

On avait enterré mon frère deux jours après mon arrivée à Naples, à la basilique Sainte-Giovanni.
La cérémonie était à l'image de la famille Bardella : sobre, silencieuse, et digne.
Ma mère, vêtue de noir, portait un voile sur les yeux.
Sa femme versait de fines larmes, presque invisibles.
Quant à mon père, son buste restait droit, son visage impassible, sans le moindre signe de faiblesse.
Ses joues étaient sèches, sans larmes.
Seules ses mains, jointes sur son costume, trahissaient une nervosité contenue.

Lorsque la cérémonie prit fin, nous nous mîmes à marcher derrière la voiture funéraire, qui emportait mon frère frais, inerte.
Pendant la marche, mon père posa sa main sur mon épaule.
Il la pressa doucement, sans croiser mon regard, et chuchota :

" Après que les invités seront partis, nous devons parler de ton avenir.

À ces mots, je restai figé.

" De quel avenir ? murmurai-je, sentant mes jambes trembler et mon estomac se tordre.

" Ton avenir ici, en Europe.

" Mais...

"Chut. Pas maintenant. Là, on enterre ton frère.

En arrivant sur nos terres, où le manoir surplombe les hectares de vignes familiales, le soleil frappait avec une intensité surprenante pour un mois de mars. À l'horizon, la Méditerranée ondulait avec élégance, parsemée de milliers de reflets dorés, comme autant de diamants dansants sur les vagues.

La moitié de la ville était là, buvant, mangeant, parlant de tout et de rien.

Quant à moi, après être restée un moment dans mon ancienne chambre, je décidai de me promener dans la demeure. Je descendis jusqu'à la petite crique, m'assis, et laissai mes doigts effleurer l'eau fraîche.

Le doux bruit du vieux moulin en bois, celui qu'on avait construit avec Mateo, me revint en mémoire. Des souvenirs chaleureux, mordants, presque cruels dans leur tendresse.

Ces dernières années, nous ne nous parlions plus. Et maintenant, il est parti. La douleur de sa perte me consume, mais ce n'est pas tout.

Ce que mon père m'a dit tout à l'heure ne cesse de tourner dans ma tête : "Ta vie est ici, en Europe.

Ces mots, comme des lames de rasoir, s'enfoncent dans ma peau.

Pour moi, c'était clair : revenir ici, rendre hommage à mon frère, rester deux semaines au maximum, puis repartir le plus vite possible à Chicago.

Cette ville me manque. Son ambiance, son charme, sa musique... et Gianni, mon seul ami là-bas. Même l'université me manque.

"Bambino !

La voix grave et familière, accompagnée des pas écrasant l'herbe sèche, me fit sourire.

Je me retournai, et en apercevant Giorgio, je me levai aussitôt.

Nous nous prîmes dans une accolade chaleureuse, tapotant nos épaules comme pour rattraper le temps perdu, avant de nous séparer.

Je le dévisageai un instant. Cela faisait bien trop longtemps.

Son corps était plus musclé, son bronzage reflet de longues journées passées à travailler dans les vignes sous le soleil faisait ressortir ses yeux bleus avec une intensité troublante.

Mes joues se rosirent légèrement.

" Comment tu vas ? lui demandai-je, la voix un peu plus douce que prévu.

"À vrai dire, je suis abasourdi par la perte de ton frère. Ça a été un choc, tu sais.
Et en plus, tes parents n'étaient même pas là le jour du drame ils étaient à Paris, s'exclama Giorgio en posant sa main sur mon épaule.

un simple souffle Tome 1Where stories live. Discover now