Le Fantôme [CONCOURS]

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Ce texte est une idée que j'avais depuis longtemps sans arriver à vraiment la mettre en forme

Aussi, je remercie Lauwern pour son thème "Oublier" qui m'a permis de faire vivre cette idée

1004 mots

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Plongée dans un livre, tu ne les vis pas arriver. Eux, étrangement, ne t'avais pas vu non plus. Pourtant, tu n'étais ni cachée ni transparente. Juste discrète. Effacée. Et cela suffit pour qu'on te bouscule régulièrement avant de te lancer un regard étonné.

Ce n'était pas de la méchanceté. Ils ne t'avaient vraiment pas vu. Certains s'excusaient. D'autres non. Toi, toujours. Alors que ce n'était jamais ta faute.

Au fil des ans, conditionnée par les brutes, tu avais acquis ce reflexe stupide de t'excuser à tout va. On tapait dans ton sac ? Tu t'excusais de l'avoir laissé sur son chemin.

Une autre aurait répondu qu'il ou elle aurait dû apprendre à se servir de ses yeux.

Si tu avais eu une autre histoire, tu aurais été cette autre qui osait.

Mais ce n'était pas le cas.

Tu es cette personne qui ne participe jamais en classe, et qui est si discrète que même les professeurs oublient ta présence. Cette personne qui au self, mange seule, qui a pour seul compagnon un roman – certainement le meilleur compagnon dont on puisse rêver. Cette personne qui, à la fin des cours, rentre immédiatement chez elle. Pas d'amis. Juste des connaissances qui doutent quelques fois d'avoir déjà entendu ta voix.

En rentrant, tu regardais sans le voir le paysage défiler à travers la fenêtre. Tu le connaissais par cœur. A la place, tu laissais ton esprit se libérer de toute entrave physique et voyager dans des lieux inconnus et irréels, ces lieux que tu voudrais tant habiter. Des lieux à mille lieues du monde réel. Monde réel si fade, si déprimant, si laid et si injuste. Si froid de solitude. D'incompréhension.

Tu retins un soupir lorsqu'il fallut descendre. Tu aurais aimé qu'il y ait plus de circulation, un accident, que sais-je. Juste quelque chose pour que tu puisses rester dehors un peu plus longtemps. Tu n'avais vraiment pas hâte de rentrer.

Sur le seuil de ta maison, tu hésitas. Comme d'habitude. Comme si tu allais faire autre chose qu'ouvrir la porte, afficher un grand sourire et saluer ta famille.

Comme d'habitude, tu te demandas pourquoi – malgré ta chance d'avoir une famille aimante et aisée, tout ce dont rêvent les gens – tu n'étais pas heureuse.

Ta question resta en suspens, alors tu l'accrochas dans un coin de ton esprit et ouvris la porte avec un masque souriant.

La soirée passa avec une lenteur affolante. Coincée à table, tu t'efforçais de ne pas paraître ennuyée. Que n'aurais-tu pas donné pour pouvoir t'enfuir dans ta chambre ! Les sujets joyeusement abordés étaient tous inintéressants, pour toi en tout cas.

Après quelques douloureuses minutes, enfin, ils évoquèrent un sujet qui te tenait à cœur.

L'imaginaire. Avec ses trois grands piliers : la fantasy, le fantastique et la science-fiction. Le grand amour de ta vie – et non pas ce Thibault dont toutes les filles de ton école semblaient amoureuses. Certes il était beau, intelligent, drôle, gentil, sportif et tout un tas de qualités plus incroyables les unes que les autres, mais rien à voir avec ce doux baume qu'était l'irréel.

Malheureusement, la discussion prit une tournure qui te laissa outrée. Comment pouvait-on critiquer l'imaginaire ? C'était même bien plus que critiquer l'imaginaire, cela revenait à tirer un trait sur tout un pan de la littérature et du cinéma !

Tu essayas alors de défendre ton amour, argumentant qu'il nourrissait les enfants comme les adultes, ouvrait l'esprit, faisait rêver ce dont on avait le plus besoin, rendait heureux.

Ils te répondirent que ce n'était pas la tête plongée dans des livres d'aventures qu'on avance dans la vie. Qu'on réussit.

- A ce propos, comment avancent tes révisions ? Tes évaluations ? Tes épreuves ?

- Tu devrais travailler d'avantage, c'est fini le temps où tu pouvais passer ta journée à lire ou à t'amuser.

- Ce n'est pas comme ça que tu vas réussir tes études. C'est important pour ton avenir.

Leurs paroles se bousculèrent dans ton esprit, se multiplièrent, s'adonnèrent à un carnage. Elles mirent à sac tes pensées, tes rêves d'aventures, tes projets d'écriture et de créations artistiques. Elles détruisirent les chemins que tu bâtissais et ne laissèrent que celui, tout tracé et terriblement mal adapté à toi, que ta famille a choisi.

Alors, ta question trouva sa réponse. Elle se décrocha de son coin, s'approcha du champ de bataille et, en se posant, se changea en réponse.

« Tu n'es pas heureuse parce que personne ne se soucie de ce que tu veux. De ce que tu penses. De ce que tu dis. »

« Mais n'est-ce pas comme ça que tu vis ? »

Un grand silence suivit cette réponse. Cette horrible déclaration. Tu tentas un instant de la nier, tu cherchas en vain une faille à exploiter pour la faire voler en éclats.

Rien. Il n'y avait aucune faille. Parce que la vérité ne peut être détruite.

« Si... C'est comme ça que je vis... »

Alors, encore une fois, tu te fis oublier.

- Oui...

Non.

Tu t'effaças de leur chemin, tu arrêtas de leur montrer toutes ses autres voies à emprunter, et tu te rangeas derrière eux pareille à leur ombre.

- Je vais travailler plus.

Laissez-moi tranquille.

Tu leur fis oublier tes différences, tu leur fis oublier que tu n'étais pas comme eux, que tu n'étais pas eux. Tu te fis oublier jusqu'à t'oublier toi-même.

- Je vais arrêter les loisirs.

Je ne veux pas arrêter les seules activités que j'aime.

Comme un cruel mensonge ou une douce cage verrouillée, il faut une part de vérité ou une clé pour qu'ils y croient. Une part de vérité qui prend le pas sur tout le reste. Une clé que l'on jette de l'autre côté des barreaux. Il faut s'oublier pour y croire. Il faut s'ôter tout moyen de sortir pour y rester.

Malgré tout, la tristesse vient, parce que tu sais au fond de toi que jamais ils ne te croient. Jamais ils ne te comprennent.

Condamnée à marcher à leurs côtés, invisibles pour eux qui pensent que tu leur es identiques mais tes sentiments réprimés et rejetés se rebellent.

Et une pensée depuis longtemps abandonnée, revient timidement et te souffle cette autre vérité.

Tu en as assez de jouer au fantôme...

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⏰ Last updated: May 08 ⏰

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