Chapitre 15

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J'entendis un cri assourdissant. Un cri aigu. Un hurlement apeuré. Je crus d'abord que cela venait de mes rêves, mais je me rendis bien vite compte que c'était un cri tout à fait réel. J'ouvris péniblement les yeux et me mis à fixer le plafond, tandis qu'Eva ne bougea pas. J'ignorai si c'était parce qu'elle dormait ou si, comme moi, elle se tâtait avant de se lever. Un cri aussi fort, aussi douloureux et puissant aurait dû faire sortir n'importe qui du lit immédiatement. Mais pas moi. En réalité, je n'étais pas si surprise que ça. Je soufflai profondément. Des choses se passaient constamment ici. Rien n'était de notre ressort. Tout était hors contrôle, car ce lieu n'était qu'un étranger et les personnes devant y cohabiter étaient toutes individuellement des bombes à retardement. Des bombes tels des dominos qui se soutenaient, volontairement ou pas, les uns les autres. Si l'un explosait, c'était l'ensemble qui explosait. Et comment nous en vouloir ? Chaque individu ici était tellement différent d'un autre. Ils se jugeaient. Créaient des liens. Se regardaient. S'interpellaient. Se questionnaient. On ignorait tous qui nous étions, et en ignorant qui nous étions, comment nous faire nous-même confiance ? Et dans ce cas précis, si notre propre personne nous était inconnu et hors de confiance, comme pouvait-il en être autrement pour les autres ?

J'ignorai pour quelles sombres raisons ce n'était pas mon cas. Ce n'était pas de la vantardise ou que sais-je...Moi aussi, j'ignorai qui j'étais. Une personne sans son passé, sa mémoire, ses souvenirs, son vécu...que pouvait-elle lui rester ? Des intuitions. Ses sensations qui me prenaient au fond de moi et me dirigeaient vers une pensée certaine. Ce n'était pas comme dans les BD où quand le personnage avait soudainement un éclaircissement, une ampoule s'alluma au-dessus de sa tête et l'idée qu'il avait était forcément la bonne. Je n'étais pas un personnage de BD, même si parfois, j'avais l'impression de vivre dans un mauvais roman de science-fiction. Je n'avais pas d'ampoule au-dessus de ma tête. J'avais des intuitions. Des pensées, des idées qui fusaient en moi, rien que par l'observation, l'écoute, les liens avec les autres...tout ce qu'une relation pouvait offrir, je le prenais, mettant, sans même m'en soucier, tous mes sens en alerte. J'ignorai si c'était juste une trop grande curiosité assez mal placée ou si ça concernait autre chose. Dans tous les cas...Ses pensées, ses idées, ses intuitions qui me venaient, que mon cerveau va interpréter et, par la suite, que quelque chose se jouera et en ressortira. Ce flux arrivera. CETTE pensée qui sortira du brouillard d'interprétation et de pensées qui me traversaient continuellement. Et cette chose qui arrivera à moi, j'aurais la certitude que ce serait une vérité. Je suis humaine. Je me trompe. Je me remets en cause. Je ne prends pas tout ce qui me passe par ma tête comme vérité. Je me questionne. Et j'aurais ma propre réponse. Plus ou moins certaine, mais elle sera là et même si cela restait une vague hypothèse pouvant être réfutée, j'avais la sensation que si elle était présente, c'était qu'elle devait se poser. Et à ce moment précis, j'ignorai qui j'étais, mais je me faisais entièrement confiance.

Je tentais alors de stopper toutes mes pensées. De me vider la tête. Il avait suffi que les premières vibrations de ce cri arrivassent à mes oreilles pour que je sus que si je me levais maintenant, tout risquait de changer. J'eus cette intuition qui ne me quitta pas, me demandant de me lever enfin et d'aller voir, d'aller aider, d'aller comprendre. Mais je fis tout pour taire cette intuition. En effet, je pensai que quiconque aurait entendu ce cri horrible aurait perçu tout de suite la teinte vraiment négative de la situation. Mais il n'y avait pas que cela. Il y avait la détresse. La détresse dans la voix. Celle que j'avais sentie dépassait simplement le fait d'assister à quelque chose d'épouvantable. C'était un cri venant du cœur. Un cri qui était là depuis longtemps et qui n'attendait que le moment propice pour enfin pouvoir être libéré. Cela se sentait, dans la profondeur et la durée du cri. Ce cri portait en lui beaucoup plus qu'une douleur sur le moment. Il portait une douleur retenue et cachée depuis plus longtemps. Cela pourrait en effrayer plus d'un, mais moi, je ne pensai qu'au fait qu'en réalité, c'était une réaction des plus normales. J'étais presque sûr que quasiment tout le monde ici retenait un cri comme celui-ci. Qui reflétait de la tristesse, du désespoir, de la colère, du désappointement, de la douleur...on avait tous ce cri-là au fond de nous qui n'attendait plus qu'à pouvoir sortir.

« Venez vite !!!!!! Dépêchez-vous !!!! » cria Léo sur nous en ouvrant brusquement la porte. Eva se leva aussitôt, d'un calme olympien. Elle ne dormait donc plus depuis un moment déjà. Je souris à cette idée, me demandant à quoi elle a pu penser durant ses longues minutes, les yeux ouverts, sans bouger. Je la suivis ensuite, plus lente et plus anxieuse. Et ce que je vis alors, étalé sur le sol, me paralysa immédiatement.

Sam. Dans une marée de sang.

Le BunkerWhere stories live. Discover now