BLEU océan #1

9

Je me réveillai au lit, dans ma chambre d'enfance, emmitouflée sous ma couette. Mon père à mon chevet se pencha tout de suite vers moi en me demandant comment je me sentais.

J'avais la bouche pâteuse, la gorge et les poumons douloureux, et les muscles courbatus. Je mis un court instant à me souvenir de la soirée passée au port, suivie du plongeon non programmé.

― Oh, Papa, je suis désolée ! croassai-je d'une voix lamentable. Je suis tombée malade après la baignade forcée, c'est ça ?

― Sarah, tu te souviens de ce qu'il s'est passé ?

Avec une voix presque inaudible et plusieurs quintes de toux, je lui racontai rapidement l'invitation, le groupe de jeunes finalement pas très intéressants, et la mauvaise blague qui m'avait conduite au beau milieu de l'eau noire et glacée. Mais d'autres souvenirs me revenaient au fur et à mesure et je finis par m'arrêter, confuse, soudain affolée, me demandant si tout cela avait fait partie du délire fiévreux.

― Papa, je... c'était un cauchemar, n'est-ce pas ?

― Raconte-moi, ma puce. Continue, insista-t-il avec douceur, remettant une de mes boucles blondes derrière mon oreille.

― Tu vas rire, mais je... j'ai cru que je me noyais... La corde du bateau qui partait s'est enroulée autour de ma jambe et m'a emmenée au fond de l'eau. Je n'ai pas réussi à remonter... Oh ! c'était horrible !

Mon père me caressa encore les cheveux sans répondre, alors que je concluais en mon for intérieur à un cauchemar dû à la fièvre. Puis il pointa mon bras du doigt :

― Regarde, dit-il seulement.

Intriguée, je remontai la manche de mon pyjama et me figeai en remarquant quelques tâches au-dessus de mon coude. Je ne les avais jamais vues. Approchant mon bras de mes yeux pour mieux voir, je balbutiai, de plus en plus inquiète :

― Est-ce... est ce que c'est...

― ... des écailles. Oui. Elles sont restées à quelques endroits sur ton corps, après ta transformation.

Affolée, je tirai sur ma couverture pour vérifier que j'avais encore des jambes, mais elles paraissaient normales.

― Tu as repris ta forme humaine lorsque nous t'avons séchée. Tu ne te souviens pas du moment où je t'ai retrouvée dans l'océan ?

Les images et les sensations resurgirent une à une, le bleu infini, le silence, la douleur, la conversation par la pensée...

― Alors ça y est ? murmurai-je, sous le choc. Mais pourquoi maintenant ?

― Tu viens de me dire que tu te noyais, répondit-il avec douceur. Moi je pense que tu t'es réellement noyée, et que ton corps de sirène a pris le dessus à ce moment. Pour te sauver.

J'en avais le souffle coupé et le corps tout tremblant. La gorge et les poumons en feu, c'était ça ? Une noyade ?

― Mais, ça veut dire que...

Une fois encore, il dut finir ma phrase qui restait bloquée dans ma gorge en feu :

― ... que si tu ne m'avais pas pour père, tu serais morte à l'heure qu'il est. J'en ai bien peur.

Effarée à cette idée, je ne restai silencieuse. Après quelques secondes pendant lesquelles mon cerveau était en mode « bug », il reprit :

― Je ne t'ai bien sûr pas amenée à l'hôpital, ton corps n'est plus tout à fait humain et ça serait dangereux de faire des examens. Mais ton histoire, ta voix et ta toux me confortent dans cette idée de noyade.

Voyant ma tête toujours ahurie, il continua en me serrant dans ses bras :

― Allons, n'y pense plus. Le principal est que tu sois là, bien vivante. Il va juste falloir que tu restes un peu à la maison pour te remettre entièrement. Et aussi écouter les conseils de ton père qui en connaît un rayon sur les sirènes !

Je souris timidement à cette évocation, ayant encore du mal à réaliser, et demandai en un bâillement douloureux où était maman.

― Elle se repose. Elle a veillé sur toi plusieurs heures avant que tu ne te réveilles. Je vais la chercher, si tu veux.

J'acquiesçai, mais ne vis pas ma mère ce jour-là. Le temps qu'elle arrive, la fatigue m'avait de nouveau emportée dans un sommeil sans rêve.

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