Chapitre 1 - Julian

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— Désolé, mon grand. Mais tu devrais rejoindre Floryan. S'il y a une chose que je sais, c'est qu'Axel déteste le retard. Tu dois être le plus parfait possible pour essayer de garder ta place.


Les trois mots me font frissonner et je tente de sourire pour rassurer ma sœur qui m'observe, les sourcils froncés, se demandant sans doute pourquoi je semble soudainement aussi tendu. Elle est celle dont je suis la plus proche et je sais avec certitude qu'elle lit en moi comme dans un livre ouvert, la plupart du temps. Il y a peu de choses que j'arrive à lui cacher et je ne suis pas peu fier quand j'arrive à dissimuler la vérité. Pourtant, cette fois, je préférerais que ça ne soit pas le cas. Que je n'ai pas à me cacher de quoi que ce soit.

De loin, je repère l'équipe violette qui m'attend. Le sourire sincère de mon coéquipier me rappelle que je ne suis pas seul. Nous sommes deux et, comme il me l'a dit les quelques fois où nous nous sommes croisés ou vus : nous sommes une équipe. Personne ne sera laissé sur le bord de la route. S'il a besoin de quelque chose, il me le demandera. Si j'ai besoin de quelque chose, il compte sur moi pour lui demander et ne pas attendre d'être dans une situation impossible.

— Méfie toi de ce mec, souffle Kon. Il fait le gentil, mais tout le monde sait que c'est un gros fils de pute qui ne mérite pas ta confiance. Sois prudent. Je ne tiens pas à te ramasser à la petite cuillère sous prétexte qu'un français a détruit tous tes espoirs.


Je hoche la tête, lui promettant d'être prudent et de le rejoindre si j'ai le moindre souci. Je sais que je ne suis pas totalement seul. Que mon père et mon frère ne sont pas loin. Marcus est présent et veillera à ce que tout se passe bien, aussi. Konrad m'a raconté à quel point Johannes Grimm et Fernando Hidalgo, les deux plus vieux de la grille, du haut de leurs trente-six ans pour l'allemand et trente-cinq ans pour l'espagnol, veillent sur les petits nouveaux et font en sorte qu'on ne soit pas complètement perdu. Et il y a Lucas Tessier, mon meilleur ami.

Âgé d'un an de plus que moi, il a signé chez Cidare, l'équipe française des paddocks, l'an dernier, le même jour que moi avec Campbell's. Il faisait partie de leur académie de pilotes et ils n'ont pas hésité une seconde à le faire monter aux côtés de Marco Dos Santos, un autre tôlier de la discipline, quand le frère de celui-ci est parti à la retraite. Le feeling passe super bien entre les deux nouveaux coéquipiers et je sais à quel point c'était important pour le français de bien s'entendre avec le brésilien. Même si celui-ci est en fin de carrière, il a promis de veiller sur le blondinet et de ne partir qu'une fois qu'il sentira que Luc est bien ancré et qu'il ne risque pas de partir en vrille.

La tenue rose et blanche de mon ami attire mon regard et je sens mes lèvres s'étirer. Sans surprise, il est déjà collé à Marco qui parle avec les deux plus vieux. Mon père presse doucement mon épaule avant de se diriger vers ses pilotes. À distance, Floryan me fait signe que je peux faire le détour. Je m'approche des trois hommes qui discutent et du gamin qu'est encore mon meilleur ami, qui les observe avec des étoiles pleins les yeux. Nous avons regardé ces mecs piloter toutes nos vies. Ce sont des légendes et nous en avons parfaitement conscience. Qu'ils posent les yeux sur nous, qu'ils nous considèrent, c'est magique.

Le français me serre dans ses bras, attirant les regards des trois autres. Un sourire moqueur s'affiche au coin des lèvres de Johannes et je sais qu'il a quelque chose en tête. Ami avec mon père et de même nationalité que nous, il me connait bien plus que les deux autres. Il m'attire dans ses bras dès que Lucas m'a lâché et j'étouffe un grognement à sa brusquerie. Quand nous nous éloignons, je serre poliment les mains tendues de l'espagnol et du brésilien qui me sourient, sincères. Un poids disparaît de mes épaules et je me sens soulagé. L'air mesquin sur les traits de l'ancien coéquipier de mon père ne me dit rien qui vaille... à raison.

— Si ça ce n'est pas mon filleul préféré. Je l'ai connu, il portait encore des couches culottes. Et je vous assure, c'était pas joyeux. Un vrai chiard.


J'ouvre la bouche avant de la refermer, mes joues rougissant à vue d'oeil, je n'en doute pas une seule seconde. Les deux pilotes explosent de rire alors que j'ai envie de descendre, six pieds sous terre.

— Oh, allons, Johannes. On sait tous les deux que si ce petit te chiait dessus, c'est uniquement parce que tu l'emmerdais. Et ne le ridiculise pas comme ça. Je peux lui raconter beaucoup d'anecdotes très humiliantes sur toi. Bienvenue parmi nous, Kilmer. S'il t'embête un peu trop, tu me préviens et je lui botte le cul.


Je remercie le brésilien qui presse doucement mon épaule pour me rassurer. Je lui souris avant de m'excuser et de rejoindre mon équipe. Les tenues violettes sont flahsy, mais je crois que c'est ce que je préfère dans mon équipe. L'audace des choix fait par Axel Vidal, le français qui gère l'équipe d'une main de maître. Quand tout le monde était habitué au noir, il est arrivé et il a tout changé. Il n'a pas hésité une seconde, même si les fans de l'équipe, comme c'était mon cas à l'époque, ont eu peur. Il savait visiblement ce qu'il faisait et il a parfaitement géré la nouvelle image de son équipe.

Quand j'arrive à hauteur de mon équipe, le cinquantenaire me sourit. Les pattes d'oies au niveau de ses yeux me prouvent qu'il a dû passer beaucoup de temps à sourire dans sa vie et c'est plutôt plaisant d'avoir quelqu'un d'aussi joyeux comme team principal. Sa femme pose ses doigts manucurés sur mon bras, juste en dessous du liseré noir de ma manche, à même ma peau nue. Mes muscles se tendent mais je garde mon sourire de façade, ne voulant inquiéter personne.

— Tu vas voir, tu vas être guidé du début à la fin, m'indique mon patron. Floryan et moi serons toujours à tes côtés pour pouvoir te guider et nous assurer que ton premier week-end de course dans la catégorie reine soit un succès. Nous sommes une équipe avant tout et je ne laisserais personne sur le bord de la route. Tu fais partie de l'aventure, maintenant et il est hors de question que je te laisse tomber.

— Merci. Je vous assure que tout ça compte beaucoup pour moi. Je suis très heureux de pouvoir piloter sous les couleurs de Campbell's.


L'héritière légitime de l'équipe me lance un sourire rayonnant qui me rappelle tout ce qu'il a fallu faire pour avoir ma place. Mon coéquipier passe un bras autour de mes épaules et m'entraîne vers nos garages pour me faire un peu visiter. Les caméras vont être braquées sur les favoris, mais aussi sur les petits nouveaux. Si chacun des pas de Floryan, Nathanaël Stokes et Konrad seront surveillés, chacun de ceux de Lucas et des miens le seront aussi. Nous sommes les petits derniers. La relève qui arrive. Et le moindre écart pourrait nous faire tout perdre. La première année est capitale pour un jeune pilote. Et les enjeux sont énormes.

De mon côté, toute mon équipe est là. Les mécaniciens qui devront se concentrer sur ma monoplace l'entourent et travaillent déjà dessus pour s'assurer qu'elle soit parfaitement prête pour les premiers essais de demain. Un homme est un peu en retrait, une tablette entre les mains. Mon coéquipier me fait m'approcher de lui.

— Je te présente Pierre Deschamps.


Son accent fait grimacer aussi bien le français que moi.

— Bonjour, Julian. C'est un honneur de travailler avec toi. Je suis persuadé que tout se passera à merveille entre nous.


Son air avenant et la gentillesse qui teinte sa voix me rassurent alors qu'une furie brune arrive, ses hauts talons percutant le ciment dans un bruit qui me crispe fortement. Je remonte légèrement mon fils contre mon torse et mon ingénieur sourit en posant les yeux sur mon petit prince qui lui fait un petit signe de la main. Et s'il obtient ce genre de geste de la part de Mats ? Il a déjà tout gagné. La demoiselle arrive et se plante devant mon coéquipier qui force un sourire et lui fait un signe de la main avant de m'indiquer qu'il revient très vite. De toute façon, même si ça n'était pas le cas, ça ne serait pas un problème. L'homme qui me parlera dans mon casque est avec moi. Je suis en sécurité et tout semble se passer pour le mieux, pour le moment. Et il faut que je fasse en sorte que ça continue à être le cas. Parce que la course automobile n'est pas un jeu. Et une fois que je suis dans la voiture, si je fais n'importe quoi, je me crash. Et dans ces cas-là, je ne peux pas être sauvé. 

Against the clocksWhere stories live. Discover now