PARADISE

Alice

Cela doit faire maintenant une bonne dizaine de minutes que je marche, toujours dans l'herbe fraîche. Mes pieds nus qui se frottent contre la terre, tout ce que j'aime.

Toute ma vie, depuis les longs dîners de famille lorsque j'étais enfant, jusqu'aux moments de solitudes qui m'envahissent quelques fois, j'ai toujours fait des listes. Par exemple, lorsque j'avais 15 ans, lors d'une réunion familiale particulièrement longue, je me rappelle avoir fait la liste des défauts les plus préoccupants de toutes les personnes assises à la longue table de la salle à manger de mes parents. C'était une liste de six pieds de longs au moins.
Et, durant ces longues minutes de silence, je me suis posé plusieurs questions, que j'ai donc bien évidemment listées :

1) Comment va réagir mon gentil François, lorsqu'il va me retrouver morte ? Vais-je lui manquer ?

2) Je sais que je dois marcher dans cette direction. Mais ou m'amène-t-elle ?

3) Vais-je aller au paradis, ou en enfer ? Ou ni l'un ni l'autre, car peut-être que cette croyance est fausse ?

4) Pourrais-je revoir ma famille avant leur mort ?

5) Vais-je retrouver mes parents, morts il y a quelques années maintenant ?

6) Comment ça sera, là-bas ?

7) Suis-je déjà au paradis ?

Toutes ces questions sont restées sans réponse, forcément. Toutes, sauf une. Car, le temps de me poser ces questions (et tant d'autres), je suis arrivée à destination. Et cette destination semble être une gare. Une gare vide. Déserte. Silencieuse.

Je m'approche lentement des rails, prudente, puis je me rappelle que, de toute façon, je suis déjà morte.
Ma pensée me fait rire toute seule, et je m'avance plus doucement.

Et soudain, un train rouge et noir surgit d'un endroit inconnu, sur les rails, à quelques mètres de moi. Je me demande alors si je dois lui demander de s'arrêter, mais avant que je ne puisse faire quoi que ce soit, le train se stoppe déjà juste devant moi, et la porte s'ouvre.

Je me dépêche à bord, pressée de voir à quoi ressemble l'intérieur.