Margot

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Il pleut. Je sens les fines gouttes s'écraser sur mon visage. Je n'ouvre pas les yeux. Pas tout de suite. Je me sens... légère. C'est étrange.
Je me relève lentement. Je m'assois en tailleur. Après quelques instants de silence, je décide finalement d'ouvrir les yeux, pour analyser ce qui se passe autour de moi.
Un parc. Un parc pour enfant, qu'on trouve sur les autoroutes, ou dans les jardins publics. Ce parc, je le connais. C'est mon parc. Mon parc préféré. Celui dans lequel j'ai vécu des choses. Beaucoup de choses. Je verse une larme. Une larme pour tous ces souvenirs, pour toutes ces personnes que j'ai abandonnées. Il le fallait. Je ne pouvais plus le supporter.

Je m'approche lentement du toboggan jaune en face de moi. Ici, la première fois que j'ai glissé, je suis tombée par terre, et je me suis fait une petite égratignure sur le genou. Mon père, pour me consoler, m'a acheté une sucette et m'a fait un bisou magique. Je souris.
Un peu plus loin, j'aperçois un petit banc coloré. C'est à cet endroit précis que, à mes 7 ans, mon amoureux m'avait fait un bisou. Il m'avait offert un bouquet de marguerites qu'il avait arrachées dans son jardin. Je lui avait offert un dessin de nous deux. Et on s'était embrassés.
Des larmes roulent sur mes joues.

Je reste là, assise sur un banc. J'observe, je pleure, je me rappelle, je rit.
Au bout de longues minutes, je décide de partir. De m'en aller, de laisser mon enfance derrière moi. C'est trop tard, désormais...

Je marche lentement sur le béton gris foncé, trempée par la pluie. Je ne mets pas longtemps avant de me retrouver devant ce que je semblais chercher inconsciemment depuis le début.

Un genre de vache froissé, maigre à certains endroits, gros à d'autres. Je m'approche d'elle en versant encore une fois des larmes de crocodile. Cette vache aussi, je m'en rappelle. C'est Vachette. Mon doudou. Je la traînais de partout avec moi. Elle avait perdu un œil, comme tous les doudou, que ma mère avec remplacé par un bouton quand j'avais six ans.
Vachette était assise sur une balançoire, la même que celle sur laquelle j'avais perdu ma première dent de lait. Lorsque je suis assez près d'elle, la petite vache lève la tête et me regarde de ses yeux noirs. Elle sourit.

- Bonjour, Margot. Comment vas-tu ?

Je ne répond pas et cours me réfugier contre elle, serrer son tissu délavé contre ma joue, comme lorsque j'étais petite et que j'avais peur du noir. Vachette referme ses bras autour de ma taille. Je veux rester comme ça à tout jamais. Dans le réconfort des gouttes de pluie, du silence et des souvenirs.

- Margot ? Il faut me lâcher maintenant, finit par dire Vachette au bout d'un long moment.

Elle a raison. Je ne peux pas rester comme ça à jamais. J'ai besoin de tourner la page.
Je me détache du tissu parlant et me poste devant elle, debout, et remarque qu'elle tient une feuille dans sa main, que je n'avais pas aperçue plus tôt.
Le doudou jette un œil à la feuille, puis pose son regard dans le mien.

- Margot Rose Vaillanc, 16 ans, ayant vécu au 7ème arrondissement de Paris, fille d'Élodie et Stéphane Vaillanc, grande sœur de Martina, 4 ans, je te souhaite la bienvenue dans l'après-vie.

La peluche se lève et m'enlace une seconde fois.

- Vachette... J'ai peur... Je... Je ne sais pas pourquoi j'ai fait ça. Maintenant c'est trop tard, et je ne sais plus quoi faire, quoi penser...

- C'est normal, ma choupette, c'est normal... Tu sais, maintenant, il faut apprendre à accepter, car pleurer ne fera aucune différence. Cet endroit est éphémère, autant que ta tristesse. Lorsque tu sera au paradis, la joie que tu ressentira couvrira ta tristesse, et là, ta mort sera meilleure que ta vie. Je ne peux pas t'en dire plus, tout ce que je suis en droit de te dire, c'est qu'à partir de maintenant, tu vas devoir te débrouiller sans moi. Sans nous.

Je hoche la tête et la petite vache se détache de moi et me sourit tendrement avant de se décaler. Là, à la place de la balançoire sur laquelle elle était assise tout à l'heure se trouve une rue pavée, totalement vide. Après un dernier regard pour ma petite vache préférée, je m'avance lentement vers l'allée sans fin. Et, quelques instant plus tard, lorsque je me suis retournée, tout avait disparu.

PARADISEWhere stories live. Discover now