25 - Apparition inattendue (Partie 1)

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   Orlhän était pétrifié. Sous ses yeux consternés, l'Elfe tout entier sembla se putréfier en une fraction de seconde: ses chairs parurent se liquéfier, ses vêtements se déchirèrent, ne laissant à la place qu'un crâne décharné d'où pendaient des lambeaux de peau séchés, des mains osseuses et grisâtres, en un mot, un squelette à peine couvert par des guenilles. Seuls les yeux étaient demeurés intacts, ajoutant encore au macabre de cette vision.

– Je sssupose que tu ne t'attendais pas à me voir ? chuchota l'Elfe -ou du moins ce qui en restait, à la manière des Esprits dont il avait désormais l'apparence.

Orlhän constata que le vent s'était tu et qu'il n'entendait plus le bruit de course des monstres, bien qu'un rapide coup d'œil au travers du corps de Levíndil lui apprit qu'ils ne s'étaient pourtant pas arrêtés. Il voulut répondre mais aucune phrase, aucun mot ne vint; il se sentait incapable de penser, ou même de bouger.

– Vous m'avez abandonné dans sssette forêt... Mais je ne vous en veux pas, après tout, je suis devenu bien meilleur que vous tousss ! s'exclama l'ancien Elfe.

Pour prouver ses dires, il pointa un index flétri en direction du garçon qui fut soulevé du sol et ballotté en tous sens durant quelques secondes.

– Mais il est vrai que ce n'est qu'un maigre aperçu de ce que je ssssais faire, avoua pompeusement Levíndil en agitant fugacement une main devant ses yeux.

Aussitôt, Orlhän ressentit une morsure à la fois froide et brûlante sur son bras droit. Une zébrure de près d'un pied de long s'ouvrit, déchirant ses vêtements et sa chair en répandant du sang chaud qui descendit en cascade et coula goutte à goutte du bout de ses doigts.

Il regarda, médusé, l'affreuse créature qui lui faisait face sans pouvoir faire plus qu'ouvrir la bouche. Il ne comprenait pas pourquoi son corps ne répondait plus. Au moins cela lui évitait de ressentir pleinement la douleur de sa nouvelle blessure.

Levíndil continua :

– Je ne te laisserai pourtant pas te vider de ton ssang; je dois te ramener à Wödha-Dirïe...

Sur ces mots, il stoppa l'écoulement du liquide, ne réduisant pour autant ni la souffrance ni la longueur de l'entaille.

L'Elfe se tut durant quelques secondes avant de poursuivre.

– Je ne penssais pas te retrouver ausssi facilement. Nous allons te faire payer pour tes actes !

Orlhän articula difficilement.

– Nous ?

– Les Essprits de Wödha-Dirïe. Menacés par un simple garçon qui se croyait ssupérieur aux autres. Qu'as-tu de plussss que tous les Humains ? Une fois que nous serons là-bas, expliqua-t-il, nous pourrons aspirer ton âme et ton esprit et si nous nous montrons cléments, nous ferons de toi l'un des nôtres.

– Que vous est-il arrivé ? s'enquit vivement le garçon, en essayant de masquer son inquiétude.

Un rire sifflant accueillit la question.

– On m'a libéré, affirma Levíndil en agitant légèrement la tête, balançant ainsi la peau tannée qui pendait de son crâne. Et le monde entier devrait avoir droit à cette délivrance...Malheureusement, il n'en est pas digne.

Orlhän soupira d'aise; il ne manquait plus qu'une armée d'Esprits aux allures de morts vivants décide de tuer la Terre entière ! Il avait vu ce dont ils étaient capables à Wödha-Dirïe; si une telle force parvenait à se déchaîner en Olataëtni, c'en serait fini de toute vie.

– Qu'y a-t-il dans ce lac ? demanda soudainement le garçon pour soutenir la conversation, n'ayant aucune envie de retourner dans la Forêt des Morts.

– Allons, tu n'as pas encore deviné ? se moqua le squelette.

Les yeux laiteux de l'Esprit reflétèrent l'amusement.

– Je me réjouis ssincèrement de t'avoir retrouvé, tu ssais. Je me demande même si je vais te partager avec les autres... Après tout, rien ne m'empêche de me susstenter légèrement avant le chemin du retour. Ma première traque et déjà une si grande réusssite... Qu'en dis-tu ?

Orlhän se demanda comment il pourrait s'y prendre pour sortir de cette impasse. Il ne voyait aucune solution, et pourtant n'avait-il pas appris auprès des Elfes à se sortir de situations inextricables ? Il était seul, Mío Asthrì était restée en retrait conformément à son souhait, ses connaissances en magie ne suffiraient jamais, tout comme la longue lame elfique qu'il tenait en main.

Mais il devait pouvoir s'en sortir, pour sa mère. Si les Rayskels se trouvaient vraiment à l'intérieur de ce lac, il devait les trouver et les tuer s'il en était capable, car un tel acte l'effrayait encore. Son désir de vengeance le pousserait-il aussi loin ? Tout ce qu'il voulait, c'étaient des réponses !

– Pourquoi apparaissez-vous toujours sous cette forme ? demanda-t-il soudainement.

L'Esprit écarta ses mâchoires en une sorte de sourire macabre.

– Nous avons remarqué qu'elle provoque une étrange fassscination sur nos proies; elles ont peur, c'est vrai, mais elles ne parviennent pas à détourner le regard. Vois par là une preuve que nous ssssommes la vraie lumière dans ce monde de ténèbres. Je t'asssure que c'est très efficace, regarde-toi, tu aurais pu fuir, mais au lieu de ça, tu me regardes, essspérant sans doute me trancher la tête. Pauvre enfant, qui croyais pouvoir me berner !

Levíndil émit encore un de ces rires à glacer le sang.

– Je vais te dire comment cela va se passser. Ou non, je vais te le montrer !

En à peine une seconde, Orlhän s'écroula par terre, le cerveau empli d'horreurs que personne ne pourrait jamais imaginer, le corps parcouru d'une douleur telle qu'il n'en avait même pas ressentie à Wödha-Dirïe, sans pouvoir hurler ou pleurer. Il ne put que regarder les images qui défilaient dans son esprit, les yeux grand ouverts comme l'ancien Elfe l'observait gaiement, en savourant sa prise.

– Remercie-moi, tu ssais ce qui t'attend à présent.

Le garçon sentit ses membres trembler, sans pouvoir les contrôler. Du coin de l'œil, il aperçut les créatures sortir précipitamment de l'eau et se réfugier dans les bois mais ne parvint pas à s'en inquiéter, encore saisi de violentes convulsions.

– Tu vois à quoi vous m'avez exposé lorsque vous avez délibérément abandonné mon corps à Wödha-Dirïe !

– Nous...n'avions pas...le...choix..., allégua Orlhän avec peine.

– Bien sssûr que vous aviez le choix ! Mais je ne vous en veux pas, comme je l'ai déjà dit, fit l'Esprit, soudain radouci. Je déplore plutôt votre manque de loyauté. Mais inutile de s'attarder sur sses choses, voyons à présent pas où comensser. Allons, relève-toi et fais-moi face !

Lentement, Orlhän se redressa sur ses jambes flageolantes. Il plissa les yeux devant la lumière éclatante qui éclaira le ciel, tandis que le rictus qui n'avait pas quitté le visage de Levíndil disparut soudainement. Le monstre leva un regard anxieux vers le ciel nuageux.

– Non, c'est impossible !

Une armée d'Elfes, menée par Halyía en personne, descendait du ciel sur des licornes aussi blanches que la lumière qui les précédait.

La légende d'ElyúdaWhere stories live. Discover now