17 - Horreur et désespoir (Partie 2)

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   Le temps se figea une fois de plus. Orlhän vit les Elfes avancer lentement vers leur compagnon à terre, comme s'ils marchaient dans l'eau. Ses jambes le portèrent sans réfléchir vers l'Esprit en face de lui dont les lèvres s'étiraient peu à peu en un sourire infâme.

Le combat semblait avoir cessé; de nombreux squelettes affluaient derrière leur chef qui regardait Orlhän avec délectation.

Le temps s'écoula à nouveau normalement quand le garçon atteignit le monstre, s'écrasant sur le sol quand celui-ci s'écarta brusquement en riant. Orlhän entendit le chuchotement des Elfes derrière lui essayant de ranimer leur ami, mais même sans le voir, il savait que c'était irréversible. Un autre Elfe était mort par sa faute, et la funeste promesse faite par l'Esprit quelques instants plus tôt serait tenue : tous ses amis allaient mourir.

– Pourquoi ? hurla-t-il à l'adresse du monstre.

– On ne trompe pas les Esprits de la Science, Humain. Nous t'avions offert une chance de partir vivant; maintenant, nous n'avons d'autre choix que de tenir parole.

Encore tremblant, Orlhän sentit la tête lui tourner. Une sensation d'euphorie se propagea soudainement dans tout son corps, à tel point qu'il discerna du comique dans la scène qu'il était en train de vivre. Il parlait avec des squelettes !

La peur le quitta, et une il eut une révélation.

– Vous voulez les cartes !

Une multitude d'yeux exorbités le fixèrent étrangement.

– Tes pensées son lentes, rétorqua le squelette en face de lui. Incontestablement celles d'un Humain ! Nous voulons ces cartes, bien sûr ! Et si tu nous les rends, je m'engage à laisser partir les licornes !

Orlhän sourit. Comme ce squelette était amusant !

– C'est drôle de parler avec vous, répondit-il. Vous ne sifflez pas comme les autres.

Des dizaines de grincements se firent entendre dans le sous bois, où l'on ne distinguait désormais plus que des taches rouges et brillantes dans la pénombre croissante. Derrière lui, Orlhän perçut des bruits de voix. Tiens, c'est vrai, il y avait des Elfes avec lui. Cela aussi c'était drôle !

– N'essaye pas de gagner du temps avec tes inepties ! Apporte-nous les cartes maintenant, ou vous mourrez tous !

Un squelette qui menaçait de mort, il n'avait jamais rien entendu d'aussi grotesque...Gagné par l'hilarité, Orlhän fut pris d'un rire incontrôlable, plié en deux, les bras autour du ventre. Pour un peu, il se serait roulé par terre !

Son rire se répercuta parmi les arbres, provoquant des hurlements rageurs de la part de plusieurs monstres au loin.

– Mais enfin, qu'as-tu ? demanda l'Esprit surpris et quelque peu troublé.

Sur le point de se calmer, Orlhän s'esclaffa de plus belle. Les tas d'os parlants en face de lui, ce n'étaient que des crâneurs !

Aussitôt, les larmes lui montèrent aux yeux. Il n'arrivait décidément plus à prendre ses adversaires au sérieux ! Pourquoi le fixaient-ils de cette façon ?

Il ne sentit pas les Elfes s'approcher de lui et ne leur prêtèrent aucune attention lorsque ceux-ci tentèrent de le calmer. Pourtant, la situation était tellement désopilante ! Finalement, près d'un quart d'heure plus tard, sa crise se calma et il n'en subsista plus qu'un petit hoquet.

Les Esprits patientaient toujours, mais les Elfes remarquèrent l'aspect meurtrier qui se lisait sur leur expression. Si Orlhän ne cessait pas rapidement, il y aurait des représailles, car ils ne semblaient pas comprendre que c'était leur présence qui avait atteint le mental du garçon. Malgré l'abattement dans lequel ils sombraient à cause de la mort de Levíndil, leur devoir était de continuer, tant pour Orlhän, que pour leur Reine et le peuple elfique tout entier.

– Écoutez ! proposa Törglihss en levant les mains. Il est vrai que cet Humain vous a manqué de respect, mais à l'évidence il est troublé par l'atmosphère de Wödha-Dirïe, ce que vous pouvez certainement comprendre.

– Peu m'importent ces paroles inutiles. Donnez-nous les cartes avant de mourir !

– C'est là toute la difficulté, répondit l'Elfe. Une seule est désormais en notre possession.

– Vous n'êtes tous que des menteurs ! cracha l'Esprit.

– Les Elfes ont-ils pour habitude de mentir ?

– Raaaah ! Tu m'agaces, Lësgorhel ! Qu'avez-vous fait des autres ?

Törglihss et Golhen s'aperçurent bien que ce dialogue ne menait nulle part. Légèrement en retrait, Orlhän s'essuyait les yeux, le corps toujours parcouru par quelques spasmes tandis que Daïmhe était encore agenouillé auprès du corps de Levíndil. Golhen expliqua alors aux monstres qu'ils avaient perdu les précieuses cartes lors d'un combat qu'eux-mêmes avaient déclenché des jours plus tôt.

– Dans ce cas, laissez-nous l'Humain et la carte si vous souhaitez rester vivants. Les Elfes sont plutôt goûteux mais ils offrent trop de résistance. De toute façon, la forêt vous tuera avant nous.

– Non, le garçon part avec nous, assura Törglihss.

– L'Humain et la carte, c'est notre dernier mot ! assena le squelette en s'agitant vivement. Nous crois-tu assez stupides pour renoncer à le transformer et profiter de ses pensées ?

À ces mots, Orlhän revint à lui. Que s'était-il passé depuis la fin de la bataille ? Il se rappelait vaguement un rire -le sien ?- et la voix sifflante du chef des Esprits. Effrayé, il fixa Törglihss en attendant sa réponse. Allait-il vraiment choisir de le livrer en échange de leur liberté ? Mais l'Elfe pinça les lèvres sans répondre.

Le regard de l'Esprit sembla soudain se concentrer sur une zone derrière eux et un sourire macabre découvrit l'intégralité de ses dents pointues.

– Je crois avoir une autre proposition pour vous. Si vous tenez à garder l'Humain, alors laissez-le lui !

– Nous n'avons rien absorbé depuis trop longtemps, renchérit un autre monstre.

Le doigt osseux du premier se tendit, désignant un point dans leur dos. Les Elfes comprirent immédiatement de quoi il s'agissait et frissonnèrent. Cette alternative était épouvantable, indigne d'eux, immorale. Et portant c'était la seule solution. Si les Esprits acceptaient de les laisser partir pour le moment, ils reviendraient à la charge plus tard, persuadés qu'ils ne sortiraient jamais de cette forêt. Alors que Golhen et Törglihss commençaient à entrevoir une solution pour s'en sortir. Ce n'était pas maintenant qu'il fallait succomber.

Le silence dura plusieurs minutes. Orlhän avait le cerveau encore un peu embrumé, ne comprenant pas très bien ce qui se passait devant lui: les voix lui paraissaient étouffées.

– Décide-toi, Lësgorhel il'rione ! clama l'Esprit. Car aujourd'hui, nous sommes la tourmente !

Les trois Elfes se consultèrent du regard et la réponse était claire : ils n'avaient pas le choix. Horrifié par son acte, Törglihss hocha la tête comme Golhen faisait apparaître l'unique carte entre ses mains. De nombreuses paires d'yeux sanguinolents fixèrent avidement le parchemin. Le considéraient-ils à ce point important ?

Daïmhe et Törglihss s'empressèrent de faire reculer Orlhän tout chancelant et les licornes dans l'ombre du sous-bois.

Le troisième Elfe avança prudemment pour tendre le papier au monstre; celui-ci s'en empara fiévreusement alors que tous ses compères se précipitaient pour observer la précieuse carte.


Orlhän se retourna lorsqu'il entendit un concert de cris effrayants derrière lui, le regrettant aussitôt; il venait de voir une horde d'Esprits enragés se jeter sur le corps de l'Elfe qu'ils avaient été obligés d'abandonner.

La légende d'ElyúdaWhere stories live. Discover now