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Gabriel et moi avons tout installé pour que je puisse accoucher à la maison. Il y a une pièce aménagée pour moi et mes fils à chaque étage de la villa. Thomas a accepté de se déplacer spécialement pour cet évènement, ce qui fait que je ne serais pas obligée d'aller à l'hôpital. Je grimpe laborieusement les escaliers (peu pratiques dans mon cas) et pousse la porte de la chambre de Liam. Le salon de réception de la suite à été aménagé en salle de jeu, idem dans la suite de Tiago. Les murs sont peints d'un bleu pastel et de blanc. Je traverse la salle de jeu et entre dans la chambre. J'attends encore la livraison des berceaux. Ils sont censés arriver aujourd'hui. Je m'installe sur un tabouret face au mur blanc et commence à mélanger ma peinture. C'est une surprise pour Gabriel et il a interdiction d'entrer ici tant que je n'ai pas terminé mon œuvre. D'un coup de pinceau assuré, je trace le long bec rouge-orangé d'une cigogne. Dans la chambre de Tiago, j'ai dessiné un geai bleu en vol au-dessus d'un champ de fleurs. Ce petit oiseau gracieux rend parfaitement bien sur le mur et quand on le regarde de loin, on a l'impression qu'il va s'envoler dans la pièce. La sonnette de l'entrée me surprend et je manque de louper le plumage de mon oiseau. Je me console en me disant qu'il y a eu plus de peur que de mal et que ce sont sans doute les livreurs des berceaux qui poirautent en bas. Je pose donc mes pinceaux et descends en hâte en entendant Jack, le majordome saluer les livreurs. Ces derniers, gênés pour je-ne-sais-quelle-raison se tiennent presque au garde-à-vous en me voyant descendre.

- Bonjour M'dame. C'est pour la livraison... on vous les mets où ?

Je souris en remarquant leur malaise mais me garde de toute réflexion à ce sujet.

- Par ici, suivez-moi.

Je les entends peiner avec leur chargement et je les pleins d'avoir deux étages à grimper avec vingt kilos sur le dos.

- Faîtes attention, dis-je, les escaliers du dernier étage sont cirés et par conséquent, sont devenus très glissants. Ce serait dommage pour vous que je sois obligée d'appeler une ambulance.

- Oui M'dame.

Ils me font rire. J'ignore pourquoi mais tous les livreurs qui pointent le bout de leur nez ici ont l'air gênés. Comme s'ils ne se sentaient pas à leur place. Ça a sans doute un rapport avec l'imposante villa.

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La pluie tambourine sur les carreaux de la baie vitrée. Assise dans le canapé, une tasse à la main, je regarde les millions de gouttes d'eau s'écraser contre le verre et glisser lentement jusqu'à terre. Le tonnerre gronde et des éclairs déchirent le ciel. L'orage m'a toujours fasciné. Je ne saurais dire pourquoi. La pluie et la foudre ont coupé le courent dans plusieurs villes. Notre belle maison fait partie du lot des malchanceux. Plus de lumières, plus de chauffage et plus de réseau. Quoique, pour le chauffage, nous avons la chance d'avoir une cheminée dans le salon du rez-de-chaussée. C'est donc confortablement installée dans le canapé, une couverture sur les genoux, que je profite de la chaleur du feu en cet après-midi pluvieux d'automne. Le vent claque contre les murs en un vacarme épouvantable. C'est probablement pour cette raison que je n'entends pas les grands coups contre la porte d'entrée. Heureusement, Jack a une meilleure audition que moi et se rue dans l'entrée pour ouvrir au malheureux invité. Invité imprévu, certes, mais nous n'allons pas le laisser dehors sous cette pluie battante tout de même ! Gabriel descend les escaliers quatre à quatre et fait un crochet par le salon du rez-de-chaussée.

- Mia, tu devrais venir dans le hall.

Je me lève en me demandant qui peut bien frapper chez nous par un temps pareil. Mon ventre s'est encore alourdi. Selon Thomas, je devrais accoucher plus tôt que prévu, début février au lieu de mi-mars. Je me fige en reconnaissant la personne trempée de pluie qui se tient dans le hall.

- Maman ? Qu'est-ce que tu fais là ?

- Oh Mia, mon chaton c'est...

Elle est dans tous ses états.

- Du calme maman. Ça va aller.

C'est alors que je remarque un détail qui aurait dû me sauter aux yeux dès mon arrivée dans ce hall :

- Où est papa ?

Ma mère garde le silence. Un silence pesant qui ne me dit rien qui vaille.

- Maman ?

- Je n'ai rien vu venir, dit-elle en reniflant, je... j'étais dans la cuisine et je n'ai rien vu d'anormal. Tout s'est passé si vite, il... n'a pas eu le temps de souffrir.

Je lâche les mains de ma mère. Impossible ! Mon père serait... non, c'est une mauvaise blague. Un cauchemars, voilà ce que c'est ! Je vais me réveiller dans trois secondes et ensuite tout rentrera dans l'ordre. Sauf que je ne me réveille pas. Gabriel a compris et me soutient pour m'empêcher de tomber.

- Maman... tu veux dire que papa est...

Je n'arrive pas à finir ma phrase : les mots sont bloqués dans ma gorge et refusent de sortir.

- Il a fait une crise cardiaque Mia. Le médecin dit qu'il n'a pas souffert, selon lui, c'est à peine si ton père s'est rendu compte de ce qui se passait.

Je ne tiens plus sur mes jambes. Des larmes coulent sur mes joues sans que je m'en aperçoive. Un gros sanglot résonne dans la pièce et brise le silence morbide qui y règne. Ma seule consolation réside dans le fait que mon père n'a rien senti. Il est parti en paix. C'est bien.

Malgré le soutien de Gabriel, je sens mes jambes se dérober sous moi. J'ai à peine le temps de me rattraper que ma tête heurte le carrelage. 

Stone Heart MafiaTahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon