Chapitre 3

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          Je glissai mes doigts sur la rangée d'ouvrages usés. Les quatre-cents parchemins de Sage Éréa étaient entreposés juste en dessous. Seul le trois-cent-cinquante-sixième avait toujours manqué. Habituellement, je me terrais dans la bibliothèque des heures durant, parcourant les allées à la recherche de nouveautés. Trois mois auparavant, j'avais passé deux jours à éplucher chaque livre, parchemins et manuscrits, avant de me résoudre à réclamer de nouveaux écrits auprès de maman. Les sections théologie et mythologie étaient les plus fournies, néanmoins les théories en matière de magie ne manquaient pas, souvent rédigées par les Sages du Sanctuaire. De nombreux ouvrages provenaient de l'extérieur, mais je n'avais récolté que très peu d'informations sur les situations géopolitiques d'Érythros et d'En'lenwë. J'avais bien déniché un livre d'Histoire en provenance de Kruós, terre des séraphins... mais jamais rien sur Hyméria, le continent sauvage. Je connaissais par cœur de nombreux récits concernant la création de Ceilon et je n'arrivais pas à me défaire de l'idée qu'un morceau d'Histoire me manquait.

À trois ans, j'avais débuté mon avide conquête de la bibliothèque. Je lisais si lentement qu'il m'avait fallu deux semaines pour finir mon premier livre. En même temps, je ne m'étais pas du tout attaquée à un livre pour enfant, mais à un bloque compact de mots compliqués. Avec les années, j'étais devenue capable de dévorer n'importe quel ouvrage en moins d'une journée.

Je lançai un regard à Sage Terria, la gardienne des savoirs soigneusement étiquetés de la bibliothèque. Son teint blafard lui donnait un air spectral, accentué par les longues plumes blanches qui ornaient ses ailes et lui recouvraient le crâne, descendant légèrement sur son front. Si l'on regardait de très près, sa peau était recouverte de minuscules plumes, presque transparentes, semblables à des écailles. Elles protégeaient les séraphins des vents glacials des hauteurs et du froid mordant de leurs montagnes. Les quelques séraphins installés au Sanctuaire portaient des talismans de protection contre la chaleur, des sortes de colliers tissés de fils de magie qui créaient un cocon d'air froid autour du porteur.

Je n'avais jamais vu Sage Terria les ailes dépliées, toutefois, j'estimais leur taille à quatre mètres d'envergure. Son plumage immaculé ressemblait à celui d'un aigle – c'était le cas pour la plupart des séraphins – mais si leurs dimensions ne les différenciaient pas suffisamment, son ossature présentait de légères disparités, propres à chaque individu.

Perchée sur un escabeau en bois sombre, un chiffon à la main, Sage Terria scrutait les étagères aussi efficacement qu'un diffracteur. Hybride de métal et de cristal, un diffracteur analysait et enregistrait un environnement en une fraction de seconde. Ce bijou technologique faisait son apparition dans le Recensement des grandes inventions en mécanique commune, j'aurai adoré le tester. Les yeux grands ouverts de Sage Terria étaient presque roses. Ils adoucissaient son visage sévère, marqué par les siècles. Elle devait approcher le millénaire pour que la vieillesse se montre ainsi. Après son grand ménage, Sage Terria avait pour habitude de détailler ainsi la pièce ; pas un grain de poussière ne lui échappait. Puis la pauvre folle reprenait sa besogne, lorsque la poussière qu'elle avait soulevée se déposait sur les ouvrages. La vieille bibliothécaire perdait la tête, elle parlait déjà de fantômes avant même ma naissance, c'était la personne idéale pour tester mon invisibilité. En tout cas, si elle pouvait me voir, je ne serais pas passée inaperçue.

Une odeur familière me chatouilla les narines. J'inspirai profondément, m'imprégnant des senteurs flottantes telles des traînées de magie. Il y avait une forte odeur de lavande, celle de Sage Terria, puis un parfum d'herbe coupée, plus léger, signe d'un passage bref. Maman était venue à la bibliothèque. L'effluve s'était presque dissipé, cela faisait déjà quelques heures. La piste menait droit au cylindre central dissimulé derrière les étagères. Il fallait sauter par-delà six mètres de papier, de reliures en cuir et de parchemins pour l'atteindre. Je l'avais découvert par hasard ; personne, à part moi, n'était assez fou pour déranger ainsi la tranquillité des lieux.

Sêptenrion: L'enfant Des DieuxTempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang