Chapitre 12 - Partie 2

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— Celle-là je la veux dans une cellule à part, ordonna le Stratton. Ne la quittez pas des yeux. La louve et Daley, dans celle-là.

Il ouvrit la première porte sur sa droite et m'y traîna. À l'intérieur, d'épais barreaux délimitaient une cellule. Kieran et moi y fûmes jetés sans ménagement. Nous nous retrouvâmes vite devant l'héritier, celle que je reconnus enfin comme étant Elizabeth Hastings, et Sitjaq qui ne comprenait toujours pas ce qu'il venait de se passer.

L'héritier utilisa le téléphone fixe de la pièce pour demander un médecin car dans l'agitation, ma blessure s'était rouverte. Le bandage taché devait être changé. Ceci fait, il se planta devant nous, les bras croisés, et nous observa un moment.

— Je veux savoir ce que deux Surnaturels foutent ici. Je vous préviens, je ne suis pas patient.

Je voulus échanger un regard avec Kieran, en vain, car son attention se porta d'abord sur Sitjaq plus que jamais abasourdi.

Il n'aurait pas dû l'apprendre comme ça.

Puis mon frère me regarda, et je vis dans ses yeux son monde s'écrouler. Puisqu'il était certain d'avoir tout perdu, mentir n'était plus utile. Alors il raconta notre attaque par deux ijirait, puis par le monstre de pierre, et comment il avait décidé de rejoindre le groupe lorsqu'une équipe l'avait secouru. Il enchaîna sur sa longue enquête qui l'avait conduite sur la piste de l'inukshuk et de Sanna.

— On pensait que cette histoire ne concernait que nous, continua Kieran sur un ton fataliste. Seulement, il y a quelques jours, l'Esprit-dieu des loups Amarok a fait appel à tous les métamorphes pour retrouver cette créature.

— Pourquoi ? demanda Shane.

— Parce que c'est une anomalie dont personne ne peut prévoir les faits et gestes, et parce qu'une âme a demandé à être vengée d'elle. Personne ne comprend vraiment ce que ça veut dire, on sait seulement que faire attendre Amarok trop longtemps ne sera bon pour aucun d'entre nous.

Le médecin arriva à ce moment-là. La cage possédait un sas qu'Elizabeth ouvrit à la doctoresse avant de le verrouiller. Shane pointa son arme vers moi.

— Kuptana, si Daley fait un geste, tire. Doc, allez-y.

La femme ouvrit la seconde porte. Je me désintéressai d'elle car mon attention fut attirée par les mains de Sitjaq tenant son pistolet : elles tremblaient tellement que même à un mètre de sa cible, il la raterait. J'entendis alors Elizabeth apostropher doucement son époux.

— Shane, regarde.

Il jeta un œil à son agent.

— Tu l'as ? chuchota-t-elle.

— C'est bon, j'ai compris, râla-t-il.

Ce qui sembla amuser sa femme. Aussi étrange que cela paraisse, l'atmosphère s'allégea d'un seul coup. Shane rengaina puis alla poser une main apaisante sur l'épaule de son employé.

— Kuptana, c'est bon, dit-il en lui faisant baisser son arme. Respire.

Sitjaq ne savait plus où se mettre.

— Ce n'est pas ce que vous croyez, boss.

— Si, ça l'est, mais ce n'est pas grave. Ça risque de durer un moment, j'aurais besoin d'un café. Prends-toi quelque chose aussi. Doc, vous voulez un truc ?

— Ça ira, merci, répondit-elle en attrapant de quoi soigner ma plaie.

— Je l'accompagne, proposa Elizabeth.

À peine eurent-ils quitté la pièce que Shane soupira de lassitude en se passant une main dans les cheveux. Il attendit quelques instants que la doctoresse soit aussi partie pour faire face à mon frère.

— Kuptana et toi, ça fait longtemps ?

Je n'avais jamais vu Kieran aussi mal à l'aise de toute sa vie. Il n'osait même pas regarder Shane en face.

— Quelques jours. Ça va lui causer des problèmes ?

— Non.

Un silence s'installa, mettant Kieran dans une position de plus en plus inconfortable. De nous deux, il était celui qui risquait le plus.

— Comment vous avez su, pour Blake ? osa-t-il demander enfin.

— Ses oreilles, répondit Shane en me fixant.

Je couchai les coupables en arrière.

— Elles réagissaient à des mots-clés. D'ailleurs je te rassure, me dit-il, je ne compte pas exterminer les Surnaturels.

Je couinai de honte d'avoir été percée à jour avec tant de facilité. Malgré mon attention, ça n'avait pas suffi.

— Dis-moi, reprit Shane à l'intention de mon frère, c'était quoi votre plan ?

— Ça serait prétentieux d'appeler ça un plan. On pensait juste trouver la fille et l'amener à Amarok.

— Que vous comptiez trouver comment ?

— Grâce à un truc de Surnaturel.

La réponse évasive ne plut pas au chef des Stratton, pourtant il était hors de question qu'on lui dise comment trouver notre Esprit-dieu.

Elizabeth revint à cet instant, seule. Jamais je n'avais vu Kieran dans une telle détresse émotionnelle. Rester dans l'ignorance de ce que ressentait Sitjaq à son égard, maintenant son secret révélé, brisa quelque chose en lui.

Shane récupéra son café avant de quitter la pièce en premier. Tandis qu'Elizabeth s'approchait des barreaux, je me réfugiai sous le lit de fortune d'où je pus observer la scène. Contrairement à son époux, Elizabeth ne dégageait aucune animosité à notre égard, comme si elle ne partageait pas tout à fait la vision des Stratton concernant les Surnaturels.

— J'ai déjà vu cette expression, commença-t-elle. Celle d'un espoir qui se brise quand on prend conscience que notre nature va inéluctablement nous éloigner de celui qu'on aime.

Kieran ne répondit rien. Il n'avait pas les mots.

— Un ami très cher avait la même quand la personne qu'il aimait plus que tout au monde, mon cousin, a appris ce qu'il était vraiment.

— Votre cousin n'est pas un chasseur de créatures surnaturelles, je me trompe ?

Le ton revêche de Kieran me brisa le cœur : il ne voulait pas être réconforté. Il voulait voir Sitjaq.

— Mon cousin n'est pas un Stratton, en effet, mais il a été condamné à mort par le cri d'une banshee, dont il est par la suite tombé amoureux.

Kieran et moi relevâmes la tête en même temps, car nous connaissions l'histoire.

— C'est le héros de Morrigan ?

— Qu'il a défiée pour défendre son droit d'aimer qui il voulait. Mon cousin a d'abord été en colère parce que la banshee lui avait menti sur son identité. Il a fini par comprendre que ses sentiments valaient plus que toutes les destinées qu'on voulait lui imposer.

Malgré l'espoir qu'Elizabeth insufflait par ses mots, mon frère n'était pas rassuré. Nous savions l'un comme l'autre que les histoires ne se finissaient pas toutes aussi bien.

— Sitjaq est en colère.

La conversation se résumait pour lui à cette unique constatation.

— Sitjaq sait que tous les Surnaturels ne sont pas des ennemis, nuança Elizabeth. Il a besoin de temps, ça a été brutal pour lui. Ça l'est à chaque fois, mais on finit toujours par se rappeler le principal.

— Je devais le lui dire, rebondit aussitôt Kieran. Juste avant que tout ne parte en vrille.

Le fait que mon frère était sur le point de révéler son secret sans m'en parler d'abord me rendit triste, car cela me renvoyait au poids que je représentais pour lui et à ma propre solitude.

Cette pensée me rendit amère.

Lorsque j'avais « disparu », personne ne m'avait cherchée. Les amis que je pensais avoir étaient repartis en compétition et aucun homme secrètement amoureux de moi n'avait retourné ciel et terre pour me retrouver. J'avais gardé espoir en l'avenir grâce à Kieran. Maintenant, j'en arrivais à me moquer de tout ce qu'il adviendrait de moi. Que je sois louve, humaine ou métamorphe, je n'avais personne à rejoindre.

Le Souffle du loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant